Nouveau poste, nouvelle mission, nouveau métier…Quand l’excès de confiance nous guette !

Nous sommes souvent mal à l’aise avec l’inconfort généré par une position de débutant(e) : nouveau poste, nouvelle mission, nouvelle équipe, nouvelle entreprise, etc.
Passer de « je ne sais rien » à « je me sens à l’aise » induit un entre-deux délicat. Délicat et inconfortable à plusieurs titres : cela nécessite de fournir des efforts (ex : acquérir de nouvelles compétences, nouer des liens), parfois d’opérer un changement identitaire. C’est aussi délicat, car, comme le souligne Tom Vanderbilt :

(…) le stade du débutant est quelque chose qu’il faut traverser le plus rapidement possible, comme un problème de peau socialement gênant.

Tom Vanderbilt1

Admettre que nous ne savons pas n’est pas toujours aisé. Aussi, nous voulons que cet entre-deux soit le plus court possible. Pourtant, tout apprentissage prend du temps.

Il y a un autre élément qui peut venir écourter ce temps d’apprentissage et le rendre insuffisant : l’excès de confiance du débutant.

C’est ce dont nous parlent Carmen Sanchez et David Dunning2 dans leur article « Un semblant de connaissances suffit à nous rendre trop confiants ». Et à nous conduire dans une forme « d’incompétence inconsciente ».

Je vous partage leurs principales conclusions, et vous propose quelques perspectives pour éviter de fuir trop rapidement cet entre-deux 🙂.

1/ Zombie or not zombie ?


A. L’expérience conduite

L’objectif de l’étude décrite ci-après était de comprendre comment les individus évaluaient leurs jugements lorsqu’ils apprenaient à prendre des décisions, dont les résultats étaient prévisibles mais incertains.
Nota : les individus du test ont été placés dans un apprentissage dit probabiliste. Cela consiste à apprendre à détecter les signaux qui permettront de prédire un résultat, avec quasi certitude ou en minimisant le risque. Par exemple, en tant que recruteur, j’apprends à détecter certains signaux chez les candidat(e)s que je rencontre, qui vont me permettre de faire, ce que je pense être, le meilleur choix possible.

Sanchez & Dunning ont constitué un groupe de 40 individus à qui ils ont demandé d’imaginer un monde postapocalyptique, dans lequel vivent désormais des personnes saines et des personnes infectées par des zombies (2 types d’infection).

Ces individus ont eu la mission d’examiner chacun 60 patients présentant des symptômes (parmi une liste de 8 symptômes possibles). Le but était d’identifier les patients infectés des patients sains, en déduisant les symptômes marqueurs d’infections zombies des symptômes leurres. Pour illustrer, un patient X se présente : le « médecin » doit vérifier auprès de ce patient les symptômes effectivement présents, et déduire si ce patient est infecté, et si oui, par quel type de virus zombie (sachant qu’il y en a 2).

A l’issue de chaque essai :

  • Les chercheurs leur ont demandé d’évaluer le niveau de fiabilité qu’ils accordaient à leur diagnostic, sur une échelle de 33 à 100%, 33% s’ils étaient indécis (autant de chances d’avoir raison ou d’avoir tort) jusqu’à 100% s’ils étaient extrêmement confiant dans leur diagnostic (donc aucune chance de se tromper).
  • Les chercheurs ont systématiquement fait un retour sur ce diagnostic (vrai ou faux), en rappelant les symptômes présents chez le patient en question.

B. Résultat n°1 : un excès de confiance assez rapide

Le poète anglais Alexander Pope avait raison de dire qu’un peu de savoir est une chose dangereuse. Nos études montrent qu’une pincée de connaissances a suffi pour donner aux participants le sentiment qu’ils maîtrisaient leur mission. Après quelques essais, ils étaient déjà aussi confiants en leur jugement qu’ils le seraient tout au long de l’expérience.

Sanchez & Dunning2

Ci-contre, vous observez deux courbes :

  • La courbe de la fiabilité réelle (en gris) correspond au nombre de diagnostics justes, au fur et à mesure des patients examinés. On peut l’assimiler à une courbe d’apprentissage.
  • La courbe de la fiabilité perçue (en bleu) correspond au niveau de fiabilité que les individus ont accordé, essai par essai, à leur diagnostic. Cet indicateur mesure ici le niveau de confiance en soi des individus.

Vous noterez que la cour de fiabilité réelle démontre une progression croissante et régulière. Les individus ont appris au fur et à mesure à mieux poser les diagnostics.

Lors des premiers examens, la fiabilité perçue est inférieure de 5 points à la fiabilité réelle. Qu’est-ce que cela signifie ? Que lorsque nous débutons dans un nouveau poste ou une nouvelle mission, nous avons un niveau de confiance relativement aligné avec notre capacité à exécuter les tâches confiées. Nous faisons preuve de prudence.

On peut être totalement novice, mais prudent et parfaitement conscient de ce qu’on ne sait pas ; en réalité, l’incompétence inconsciente s’acquiert avec le temps. Un peu d’expérience remplace la prudence par un faux sentiment de compétence.

Sanchez & Dunning2

Cependant, la courbe de confiance tend à dépasser très vite celle de notre progression réelle ! En effet, au fur et à mesure, la première dépasse la seconde pour atteindre un premier pic autour de 30 patients examinés. Avec un écart de 13 points qui marque un excès de confiance ! Les auteurs appellent cela une bulle de confiance.

Débuter, c’est être exposé à un optimisme et à une confiance en soi infondés.

Sanchez & Dunning2

C. Résultat n°2 : une remise en question…temporaire

Dans une étude de suivi, Sanchez & Dunning ont approfondi les raisons pour lesquelles les individus avaient connu des excès de confiance.

La réponse est simple.

Ils ont cru que les quelques données récoltées, les quelques signaux perçus au bout de 6/7 cas (soit à peine 10% des essais) étaient suffisants pour prédire des résultats quasi certains. Ce point est fondamental. En effet, penser qu’une petite série de données apporte autant qu’une grande est une erreur courante. Cela s’appelle la théorisation exubérante 🙂

Comme vous le voyez sur la courbe de fiabilité perçue, celle-ci connaît un perceptible infléchissement après ce premier pic.

Selon les 2 chercheurs, cela démontre une remise en question de la part des individus.
Ils ont compris la nécessité de revoir leurs certitudes acquises seulement à partir d’une petite échelle de données. Toutefois, cette phase a été courte, et un 2ème pic est apparu. Nous noterons, toutefois, que ce pic n’a pas le même coefficient que le premier. Cette seconde bulle est donc plus mesurée !

D. En conclusion

Cette étude a des limites, comme toutes les études.

Elle porte uniquement sur le comportement d’individus placés face à de nouveaux défis, à de nouvelles tâches, inconnus jusqu’alors. Que se passe-t-il pour des tâches / des situations plus ou moins connues ?
Que se passe-t-il après 60 essais ?
N’y-a-t-il des différences notables selon les traits de personnalité ?
Etc.

Sachez que les chercheurs ont conduit d’autres études similaires qui ont abouti à des observations similaires3.

Dans tous les cas, cette étude a le mérite de nous alerter sur un biais que nous avons globalement tous : nous forger des convictions sur un nombre assez faible de données. Que ce soit sur des situations professionnelles ou sur des personnes !

2/ Alors, comment limiter les risques d’une incompétence inconsciente ?


Pas d’injonctions, uniquement des perspectives pour vous amener à réfléchir à vos propres cas.

A. Quels sont les risques associés à cet excès de confiance ?

Nos études indiquent que le travail des débutants est difficile à double titre. Certes, apprendre exige de faire des efforts, mais ils doivent aussi se méfier de l’illusion d’avoir appris trop vite.

Sanchez & Dunning2

Tomber dans une incompétence inconsciente est un cas extrême. En portant une surconfiance en notre capacité à tirer des conclusions pertinentes à partir d’un petit nombre de données, nous courons plusieurs risques. Par exemple :

  • Agir trop vite,
  • Ne pas poser les bonnes questions, aux bonnes personnes,
  • Ne pas mobiliser les bonnes ressources (temps, argent, personnes),
  • Ne pas développer les compétences adaptées, et être bloqué(e) dans son évolution professionnelle,
  • Acquérir un rapide et faux sentiment d’ennui,
  • Perdre la confiance de son manager, de son équipe, de ses clients, etc.
  • Renvoyer une mauvaise image en raison du décalage entre la confiance affichée et les faits (sur ce point, cela dépend beaucoup de la culture de l’entreprise),
  • D’une façon plus générale, perdre son temps, ou faire perdre du temps aux autres,
  • Etc.

Nota : je n’en appelle pas pour autant à renier notre instinct !

B. Comment nous en prémunir ?

Ma réponse ne va pas plaire aux impatients, d’autres vont la trouver basique : prenons du temps… pour en gagner !

Le temps est notre meilleur allié. Nous pourrions l’utiliser notamment pour…

Observer

Et récolter un nombre de données suffisamment dimensionné et pertinent (tout en faisant confiance en notre intuition).

Échanger

Obtenir du feedback régulier auprès des personnes avec lesquelles nous travaillons, échanger avec des pairs sur nos pratiques respectives.

Requestionner

Les certitudes que nous avons acquises rapidement et que nous continuons d’acquérir.

Nous auto-évaluer régulièrement

Et réajuster nos actions en conséquence.

Nous former

Et l’ensemble des actions précédentes vont nous aider à savoir sur quoi.

Enfin, apprécions ce statut de débutant(e), quand bien même il présente des aspects inconfortables. Il est synonyme de découvertes, d’étonnements utiles pour les autres et d’apprentissage ! Je vous invite à lire cet article qui nous rappelle à quel point il est bon d’être débutant(e) : https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/beginners-must-read-rh.

Sources

1https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/beginners-must-read-rh

2Sanchez C. & Dunning D.,  » Un semblant de connaissances suffit à nous rendre trop confiants », Harvard Business Review, paru le 19/05/2022 et consultable ici : https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2020/05/30106-des-bribes-de-connaissances-suffisent-a-nous-rendre-trop-confiants/

3Sanchez C. & Dunning D., « Overconfidence Among Beginners: Is a Little Learning a Dangerous Thing ? », Journal of Personality and Social Psychology, 2018, Vol 114, n°1, p. 10–28

Last Updated on 8 février 2023 by Daphnée DI PIRRO