Hacker sa vie pro – Et si, et si, et si…

Êtes-vous plus Aurélie ou plus Paul ?

Une même situation et pourtant, Aurélie et Paul ne réagissent pas de la même façon.
Non, nous n’avons pas la même tolérance à l’incertitude !
En ce début d’année, j’ai suivi une petite formation1 sur ce sujet car elle constitue un frein majeur aux projets des personnes que j’accompagne, ou rend leur vécu au travail douloureux.
Je trouve aussi intéressant de comprendre notre propre façon de réagir à l’incertitude, ainsi que celle des autres, notamment lorsque nous occupons une position de management.

Beaucoup d’entre nous éprouvent une aversion pour l’incertitude. Quoi de plus déstabilisant, stressant, injuste qu’une situation nouvelle, ambiguë ou imprévisible, qui vient perturber notre quiétude ?
Comme Paul, certain(e)s d’entre nous font preuve d’une forte intolérance. Cela influence profondément notre bien-être et nos décisions. Malgré nous, nous adoptons toutes sortes de comportements : l’évitement, le besoin de réassurance permanent, la recherche extrême d’informations, etc.
Pourtant, l’incertitude est une réalité inévitable. Alors comment mieux « fonctionner » dans une situation incertaine ? Le piège est de se perdre dans une vaine quête de certitude. La clé est de s’entraîner à devenir plus tolérant(e), en nous exposant et en bousculant nos représentations.

Bonne lecture !

1/ Une possibilité inacceptable !


L’intolérance à l’incertitude est beaucoup abordée dans le cadre d’études en lien avec l’inquiétude, le stress ou le trouble anxieux généralisé. Ici, il n’est pas question de vous présenter tout cela, mais simplement quelques idées utiles pour la suite.

A. L’insupportable idée « d‘un coup dur »

Dans leur guide2 portant notamment sur l’intolérance à l’incertitude, Isabelle Geninet et al. donnent la définition suivante :

L’intolérance à l’incertitude peut se décrire comme la difficulté à accepter le fait qu’il n’est pas complètement impossible qu’un événement négatif puisse se produire malgré sa faible probabilité.

Geninet, Harvey, Doucet & Dugas, p.1

L’idée qu’un évènement négatif (et ses conséquences) se produise est donc jugée inacceptable, et ceci, quelle que soit la probabilité associée.
Carleton et al. (2007)3, tout comme Birrell et al. (2011)4, soulignent que c’est le fait de « ne pas savoir » (de ne pas avoir d’informations suffisantes, de ne pas avoir de moyen de prédire avec certitude l’évènement) qui suscite de l’inquiétude.

Notons deux informations clés.
L’intolérance à l’incertitude s’inscrit sur un continuum (d’une extrême tolérance à une véritable allergie).
Selon les domaines de vie, nous pouvons nous montrer plus ou moins tolérant(e)s. Par exemple, je peux bien supporter l’incertitude professionnelle, mais manifester une véritable intolérance quand cela concerne ma santé.

B. Le processus de l’intolérance à l’incertitude

Clémence Brun (2016)5 explicite le processus à l’œuvre (p.85), face à une incertitude, à l’appui des travaux de Carleton (2016)6. Je vous en propose une représentation schématique :

La peur engendrée par l’incertitude n’est pas un problème en soi. La peur est une émotion normale. L’inquiétude, aussi, est normale.
Toutefois, cela pose problème lorsque nous ne parvenons pas à « bien fonctionner » et que nous rencontrons des difficultés gênantes et limitantes.

2/ Une douloureuse aversion


A. Les 4 grandes composantes de notre intolérance

Face à l’incertitude, nous rencontrons des difficultés à « bien fonctionner »7, plus ou moins marquées selon notre degré d’intolérance (et nos individualités !).

Notre intolérance engendre une forte réaction émotionnelle. Celle-ci entraîne des troubles somatiques (1), telles qu’une fébrilité intérieure, une respiration rapide, une sensation de chaleur, etc.

En tant qu’intolérant(e)s, nous sommes aussi assujetti(e)s à des erreurs de perception (2).
En effet, nous percevons plus facilement des problèmes dans des situations qui n’en présentent pas vraiment (Freeston et al. (1994)8). Nous sommes à l’affût des moindres détails pouvant confirmer que l’évènement négatif, tant redouté, va se produire.
Et, pour couronner le tout, nous avons tendance à surestimer les risques, tout en sous-estimant notre capacité à affronter ces possibles coups durs !

Ce tourbillon de « et si« , allié à notre sentiment d’incapacité à traverser, suscite des états négatifs (3) : tristesse, déception, déficit de confiance en soi, rumination envers cette injuste incertitude, sentiment de gâchis, etc.

Enfin, nous pouvons adopter des comportements dysfonctionnels, divisibles en deux grandes catégories : les comportements types « frein » et ceux types « surréaction ».

B. Inhibition ou surréaction ?

Nos comportements types « frein »
Nos comportements types « surréaction »

Nota : au-delà de l’évitement d’actions, il y a également un évitement cognitif. Celui-ci consiste à tout mettre en œuvre (ex : distraction, travail sur la suppression de pensées désagréables) pour ne pas avoir à penser à la situation préoccupante.

La quête de certitude est le dénominateur commun entre ces deux grandes familles. Certitude que nous recherchons tout en étant parfois cloué(e)s au sol et privé(e)s de tout pouvoir d’agir !
Deux dimensions entrent également en jeu, et viennent entretenir ce cercle vicieux. Tout d’abord, nous croyons que l’inquiétude est une amie car elle nous permet de bien anticiper les évènements négatifs, et de les éviter. Deuxièmement, pour nous, les problèmes sont des ennemis. Aussi, nous attacher à les résoudre est une réelle épreuve, parsemée d’anxiété et de frustration !

Alors , comment mieux appréhender l’incertitude ?

3/ Pourquoi et comment devenir plus tolérant(e) ?


A. La vaine quête de certitude

Je vous le disais dans la partie précédente, nos comportements d’intolérant(e)s sont guidés par la quête de la certitude. Nous pensons – à tort – que la certitude dissipera notre anxiété. Cependant, nous le savons malheureusement bien : ce n’est qu’un soulagement temporaire. Nous nous replongeons alors dans une nouvelle quête, et un magma d’inquiétudes toujours plus fort.
Nous avons la conviction que si nous lâchons cette quête, nous prenons le risque d’un imprévu que nous aurions pu (dû ?) anticiper !

C’est l’heure de la grande révélation de cet article, qui n’en est pas une : la certitude est un mythe. La vie est impermanente, l’incertitude est (malheureusement) là, et vouloir exercer une forme de contrôle est une illusion douloureuse.
En outre, Amélie Seidah1 met en évidence que choisir la voie de la certitude nous conduit parfois à faire des choix éloignés de qui nous sommes.

La recherche a montré que plutôt que le choix de la certitude, nous devrions faire celui d’une plus grande tolérance à l’incertitude 2 ! Je vous rassure, nous ne visons pas le stade d’éveil :), mais un seuil intermédiaire, comme l’explique Amélie Seidah1 :

Je vous propose à présent quelques pistes de réflexion pour accroître sa tolérance à l’incertitude. Cela ne remplace en rien un accompagnement avec un(e) thérapeute formé(e) sur ce sujet !

B. Les travaux préparatoires !

Il existe une série d’exercices consistant à observer nos comportements face à des situations que nous jugeons incertaines. Vous en trouverez deux dans le guide2 cité plusieurs fois dans cet article (pages 5 à 8).
Nota : si vous souhaitez évaluer votre intolérance à l’incertitude, il existe aussi une échelle d’évaluation (Intolerance of Uncertainty Scale).

Ensuite, travailler sur vos croyances peut être bénéfique. Nous l’avons vu, deux éléments nourrissent notre intolérance à l’incertitude : l’inquiétude que nous cultivons et les problèmes que nous redoutons.

Remettre en question ses croyances, c’est aussi s’interroger sur ce qu’elles nous apportent et nous coûtent. Par exemple, l’inquiétude m’aide à anticiper des situations et m’a souvent été utile. Mais elle m’empêche aussi de me détendre et me prive d’expériences qui m’attirent.

Face à un problème, demandez-vous : quel est le pire et le meilleur scénario ? Que gagnez-vous en évitant le problème ? Qu’y perdez-vous ? Y a-t-il des opportunités cachées ?

Enfin, il est essentiel de choisir de s’exposer. Nous avons tous affronté des situations qui nous effrayaient et qui, avec l’expérience, sont devenues plus faciles à gérer. Par exemple, parler en public, conduire sur le périphérique parisien ou s’intégrer dans une nouvelle équipe ! Ce phénomène s’appelle l’habituation.

C. Les principes d’une bonne exposition

D’après Craske et al. (2014)9

Ainsi, en choisissant de devenir plus tolérant(e)s à l’incertitude, nous pouvons gagner trois choses : mieux nous ancrer dans le présent (et quitter un avenir catastrophique hypothétique), nous rapprocher de notre véritable « nous » (et quitter celui guidé par nos peurs) et renouveler notre confiance dans notre capacité à « traverser ».

1https://perfectionnement.com/amelie-seidah-la-tolerance-a-lincertitude-theorie-et-pratique/

2I. Geninet, P. Harvey, C. Doucet & M. Dugas, Laboratoire des troubles anxieux, Université Concordia (guide consultable ici)

3Carleton R. N., Norton M. A. P. J. & Asmundson G. J. G., « Fearing the unknown : A short version of the Intolerance of Uncertainty Scale », Journal of Anxiety Disorders, 21(1), p. 105-117 (cités par Clémence Brun5)

4Birrell J., Meares K., Wilkinson A. & Freeston M., « Toward a definition of intolerance of uncertainty: A review of factor analytical studies of the Intolerance of Uncertainty Scale », Clinical Psychology Review, 2011, 31(7), p. 1198-1208, (cités par Clémence Brun5)

5Brun C., Thèse doctorale « Influence de l’intolérance à l’incertitude sur la prise de décision dans le domaine de la santé », Section Psychologie, Université Grenoble Alpes, soutenue le 06 novembre 2023

6Carleton R. N., « Fear of the unknown: One fear to rule them all ? », Journal of Anxiety Disorders, 2016, 41, p. 5-21

7Guide de pratique : éducation psychologique et autosoins / Fiche C6 – Trouble d’anxiété généralisée – Intolérance à l’incertitude. Consultable ici

8Freeston M. H., Rhéaume J., Letarte H., Dugas M. J. & Ladouceur, R., « Why do people worry ? », Personality and Individual Differences, 1994,17(6), 791–802 (cités par Jeannette Roche, Thèse doctorale « Vers un domaine émotionnel du phénomène d’intolérance à l’incertitude », Section Psychologie, Université de Lyon, soutenue le 04 décembre 2017. Français)

9Craske M.G., Treanor M., Conway C.C., Zbozinek T. & Vervliet B., « Maximizing exposure therapy : an inhibitory learning approach », Behav Res Ther, 2014, 58, p.10-23

Last Updated on 4 février 2025 by Daphnée DI PIRRO