Les compétences de carrière

Pour ce nouvel article, j’ai choisi de vous partager un champ que j’ai particulièrement exploré lors de ma thèse professionnelle : les compétences de carrière. Akkermans et al. (2012) les définissent de la façon suivante « Knowledge, skills and abilities central to career development »1.

Nous avons un rôle clé à jouer dans notre carrière, voire un rôle de cogestionnaire de carrière (Cerdin, 2015)2). Les institutions européennes3 et française4 nous incitent à l’occuper pleinement. En effet, de nombreux facteurs multiplient les transitions professionnelles, qui sont, par ailleurs, plus hétérogènes. Les carrières traditionnelles, au sein d’une unique structure, suivant un script linéaire, sont de plus en plus rares.
S’il est évident que ces transitions peuvent être induites par des évènements sur lesquels nous avons, à l’échelle individuelle, peu de prises (crises, restructurations, etc.), développer ses compétences de carrière peut permettre de mieux anticiper les mobilités et de les conduire au mieux.

Or, en matière de carrière, pour la majorité d’entre nous, la temporalité est celle du présent. Dans la majorité des cas, c’est un évènement qui provoque une mobilité. Cela engendre la nécessité de se remobiliser dans un temps souvent court. Quels sont les risques ? Par exemple, accepter un poste « moyen » pour sortir d’une situation problématique, ou suivre la voie « logique », sans conviction. Aussi, certaines mobilités peuvent être le fruit de choix non éclairés, non conscientisés, voire forcés, dont les conséquences, pour la suite, peuvent être complexes.
Il paraît donc pertinent de ne pas négliger le développement de ces compétences.

Je vous explique ce qu’elles recouvrent et pourquoi il est important de s’y intéresser. Je vous propose également un questionnaire d’auto-diagnostic et un focus sur 2 d’entre elles que je trouve, pour ma part, assez fondamentales (la connaissance de soi et le réseau).

1/ Que sont les compétences de carrière ?


J’ai choisi de vous présenter les compétences de carrière telles qu’elles sont définies par Akkermans et al. (2012)5, et selon ma traduction. Elles représentent un synthèse intéressante de tous les autres concepts en la matière.
Les auteurs identifient 3 compétences.

Compétences réflexives (connaissance de soi)

Elles permettent d’avoir une perspective de la carrière sur le long terme, en s’assurant de l’articulation entre ses besoins personnels et ses besoins professionnels.

Compétences en communication

Elles permettent d’interagir efficacement avec les autres, c’est-à-dire qu’elles contribuent aux chances de succès de carrière.

Compétences comportementales

Elles permettent de construire sa carrière en anticipant et en passant à l’action au maximum.

Chaque compétence est décomposée en 2 dimensions :

Compétences réflexives

  • Réflexions sur ses motivations : connaître ses valeurs, ses aspirations, ses motivations d’un point de vue professionnel
  • Réflexions sur ses atouts : connaître ses forces, ses points d’améliorations et ses compétences

Compétences en communication

  • Réseau : avoir conscience de l’existence d’un réseau, de son périmètre et de sa valeur, être en capacité de l’étendre
  • Faire-savoir : être en capacité de parler de soi, de ses acquis, de ses compétences et de ses attentes futures (en interne ou en externe)

Compétences comportementales

  • Recherche d’emploi et d’opportunités / veille / développement de compétences : savoir rechercher des opportunités (y compris des projets en interne), des informations sur le marché de travail et sur le développement de compétences,
  • Pilotage de carrière : savoir se fixer des objectifs et développer la bonne stratégie pour les atteindre, à court (1 an) et à long terme.

2/ Pourquoi les développer ?


Il y a plusieurs raisons à cela. Je vous livre ici deux raisons clés.

A. Pour faire face aux transitions professionnelles plus nombreuses et plus hétérogènes

Comme vous le savez, le monde du travail connaît des mutations depuis plusieurs décennies. Les entreprises doivent s’adapter continuellement à des marchés fluctuants, bousculés par différentes crises et transitions. Dans cette quête de flexibilité, la main d’œuvre est devenue une variable d’ajustement, et cela impacte les parcours professionnels. Les transitions professionnelles sont plus nombreuses et plus hétérogènes (ex : évolutions de poste dues aux transformations de l’entreprise, des métiers, reconversions, alternance périodes d’emploi/périodes de chômage, etc.).

De fait, le modèle de la carrière traditionnelle s’est affaibli et celui de la carrière sans frontières a grandi.
Bien évidemment, la réalité ne se résume pas à ces 2 modèles et est plus complexe que cela. Néanmoins, les connaître et les comprendre apportent un éclairage intéressant.
Quelles sont les différences entre ces 2 modèles ? Sullivan (1999)6 propose une différenciation basée sur 7 critères.


 
TraditionnelleSans frontières
Relation d’emploi (ou contrat psychologique)Sécurité contre loyautéEmployabilité contre performance et flexibilité
FrontièresUne ou deux entreprisesDe multiples entreprises
Compétences SpécifiquesTransférables
Mesure de la réussite : la recherche de sens prend de plus en plus de place, même si le reste garde son importance Salaire, promotion, statutTravail qui a du sens
Responsabilité pour la gestion de carrière OrganisationIndividu : de plus en plus transféré à celui-ci, sans pour autant que l’organisation ne se désengage
Formation  Programmes formelsPermanent et sous diverses formes
Élément déterminant ÂgeApprentissage

Ce changement de paradigme nous conduit à accroître notre implication dans la gestion de notre carrière.

B. Pour être en phase avec ses aspirations

Les compétences de carrière sont également au service d’une carrière alignée avec ses aspirations.
Sur ce point, Falcoz (2011)7 souligne un des apports majeurs du courant des carrières sans frontières : celui d’une meilleure prise en compte des critères individuels. Pour lui, ce modèle « déconstruit l’idée implicite selon laquelle les individus auraient toujours envie d’une carrière ascendante » (p. 13). La recherche d’un travail qui a du sens est primordiale. Les critères de réussite sociale (ex : statut, rang, réputation, considération, etc.) ne sont plus prioritaires.

3/ Comment vous situez-vous par rapport à ces compétences ?


Je vous invite à vous situer sur chacune des dimensions évoquées précédemment ou bien sur celles qui font le plus écho en vous. Que faites-vous concrètement, quel temps y consacrez-vous ? Pour vous aider, je vous partage un questionnaire que j’avais élaboré dans le cadre de ma thèse professionnelle.

Compétences réflexives

  • Quelles ont été / sont vos démarches pour améliorer votre connaissance de vous-même (valeurs, attentes, sens recherché, aspirations) ?
  • Quelles sont vos autres démarches en la matière (formelles et informelles) ?
  • Quels sont les outils mis à disposition par votre organisation sur ce sujet ?
  • Quels sont vos besoins en la matière ?

Compétences en communication – Focus réseau

  • La constitution et l’entretien d’un réseau sont-ils une priorité pour vous ? Pourquoi ?
  • Quels sont vos réseaux (professionnels (interne/externe, formation initiale, personnels)) ?
  • Comment les entretenez-vous ?
  • Avec qui discutez-vous de vos projets d’évolution, de mobilité ?
  • Aide perçue : quels ont été / quels sont les apports de vos réseaux sur votre carrière ? Ex: informations, opportunités, etc.
  • Quelles sont selon vous les limites de vos réseaux ?   
  • Quels seraient vos besoins en la matière ? Ex : formation à la gestion d’un réseau, etc.

Compétences en communication – Focus faire-savoir

  • Vous sentez-vous capable, dans n’importe quelle circonstance (informelle et formelle (ex : entretien)), de parler de vous au présent et au futur ?
  • Si oui, comment y parvenez-vous ?
  • Sinon, quels sont les freins que vous identifiez ?
  • Quels sont les outils mis à disposition par votre organisation sur ce sujet ?

Compétences comportementales – Focus veille

  • De quelle façon vous tenez-vous informé(e) des transformations/menaces/opportunités qui concernent votre structure / votre secteur ?
  • De quelle façon vous tenez-vous informé(e) des transformations/menaces/opportunités qui concernent votre métier ou les métiers qui pourraient vous intéresser ?
  • Comment vous tenez-vous informé(e) des opportunités au sein de votre structure ? En externe ?
  • Quels sont les outils mis à disposition par votre organisation sur ce sujet ?

Compétences comportementales – Focus développement des compétences

  • Compétences actuelles 
    • Avez-vous une vision claire et précise de vos compétences actuelles ?
    • Si non, que faudrait-il pour ce soit le cas ?
  • Compétences à acquérir
    • Avez-vous une vision claire et précise des compétences à développer ?
    • Si oui, quelles ont été les démarches qui ont permis de les cibler ?
    • Pouvez-vous citer des exemples de compétences que vous souhaiteriez développer ?
  • Comment développez-vous vos compétences ?
  • Quels sont les outils mis à disposition par votre organisation sur ce sujet ?

4/ Quelles compétences de carrière développer et mobiliser en priorité ?


Comme pour les autres compétences, les compétences de carrière nécessitent de se former et de pratiquer. A mon sens, il y a 2 compétences à développer et à mobiliser particulièrement : les compétences réflexives et le réseau.

Se connaître constitue la fondation de toutes les autres démarches. A ce titre, développer ses compétences réflexives apparaît prioritaire. Il existe plusieurs leviers. Par exemple, les évaluations annuelles constituent un moyen de faire le point, notamment dans la phase préparatoire. Idem pour les bilans professionnels.
Pour une plus grande prise de recul, il y a une littérature très dense qui proposent des outils pour guider cette réflexion. Enfin, il y a la possibilité de se faire accompagner par un tiers (bilan de compétences, accompagnement court). Cette option a le mérite d’être guidée par un questionnement qui garantit une prise de recul et un balayage objectif de la situation.

La dimension « réseau » des compétences de communication est également essentielle. L’enjeu est de parvenir à identifier ce réseau et à l’entretenir. C’est-à-dire, ne pas le mobiliser uniquement quand nous en avons besoin.
Par ailleurs, les témoignages que j’ai pu recueillir lors de ma thèse professionnelle mettent en évidence que cette compétence est l’une des plus difficiles à mettre en œuvre, car elle souffre d’une connotation négative. « Faire du réseau » = « Utiliser les autres ». C’est une pratique encore faiblement ancrée. Pourtant, le réseau n’est pas qu’au service d’un projet de mobilité. Il permet de se tenir informé, d’être en veille, de récolter de l’information utile pour sa pratique quotidienne et pour la suite de sa carrière.
Il existe de multiples ateliers de formation à la démarche réseau. J’en proposerai un prochainement 🙂

Sources

1 AKKERMANS J., BRENNINKMEIJER V., HUIBERS M. & BLONK R.W.B, « Competencies for the contemporary career : development and preliminary validation of the career competencies questionnaire », Journal of Career Development, 2012, 40(3), p. 246

2CERDIN J.-L., La cogestion des carrières, Cormelles-Le-Royal, Editions EMS, 2015

3Résolution du Conseil de l’Union européenne et des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil du 21 novembre 2008 — «Mieux inclure l’orientation tout au long de la vie dans les stratégies d’éducation et de formation tout au long de la vie»
Recommandation du conseil de l’Union européenne du 22 mai 2018 relative à la promotion de valeurs communes, à l’éducation inclusive et à la dimension européenne de l’enseignement

4Loi n°2018-771 du 05 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel

5 AKKERMANS J., BRENNINKMEIJER V., HUIBERS M. & BLONK R.W.B, « Competencies for the contemporary career : development and preliminary validation of the career competencies questionnaire », Journal of Career Development, 2012, 40(3), p. 245-267

6SULLIVAN S.E., « The changing nature of careers : a review and reseach agenda », Journal of management, 1999, n°25, 457-484

7FALCOZ C., « Pour en finir avec les carrières sans frontières – Prolonger et dépasser le courant des ‘boundaryless career’ pour un programme renouvelé de recherche sur la gestion des carrières », 2011, 20 pages

Last Updated on 8 février 2023 by Daphnée DI PIRRO