Sens au travail : qu’est-ce-qui le favorise (ou le réduit) ?

Vous l’avez certainement constaté comme moi : le sujet du sens au travail est partout. J’ai donc pris du temps, ces dernières semaines, de me documenter sur ce sujet. Au fil de mes lectures, j’ai découvert différents concepts, et je vous partage, à travers cet article, l’un d’entre eux que je trouve pertinent.

La chercheuse Estelle Morin a défini 6 caractéristiques d’un travail porteur de sens. Je vous le présente car son modèle peut faciliter l’analyse :

  • Des situations vécues au travail, afin de mieux les appréhender et envisager des adaptations.
  • Des attentes pour un futur poste. Lorsque nous sommes en transition professionnelle, et que nous cherchons un travail qui a plus de sens, cette grille peut aider à mieux définir son besoin.

Et surtout, je l’apprécie car il déconstruit l’idée que le sens au travail se résume à l’utilité sociale et à l’alignement à ses valeurs. C’est nécessaire, mais non suffisant !

1/ Première question : comment définir le sens au travail ?


Le sens au travail peut se définir de multiples façons, selon, notamment, l’approche disciplinaire retenue. J’ai choisi de vous partager trois définitions que je trouve éclairante.

La première, c’est l’une des définitions données par le Larousse au mot « sens » : « Raison d’être, valeur, finalité de quelque chose, ce qui le justifie et l’explique »1.  

Les deux autres approches sont spécifiques au sens du travail.

Dans son ouvrage Donner un sens au travail2, Caroline Arnoux-Nicolas propose la définition suivante : « le sens du travail peut se définir à travers la perception qu’a l’individu à la fois de son travail et de son rapport à celui-ci. Le sens repose sur le vécu de l’expérience réelle du travail, sur l’interprétation qu’il en fait et de ses expériences passées. (…) La perception est par essence toujours subjective et la question éminemment personnelle. » (Chapitre 1, p.3)

Estelle Morin3, elle, définit le sens du travail selon 3 composantes :

La signification

Il s’agit de la façon dont la personne voit le travail, la valeur qu’elle lui donne. Le travail occupe une place centrale dans nos vies. Néanmoins, chaque personne, de par son histoire, le perçoit différemment (place de choix, vocation, simple emploi, etc.).

L’orientation

Il s’agit de la finalité donnée au travail. A-t-il une fonction utilitaire (ex : gagner de l’argent pour subsister) ? A-t-il une fonction de réalisation (plaisir, image sociale recherchée, etc.) ?

La cohérence

Le travail que fait la personne, les expériences de travail vécues sont-ils alignés, cohérents, avec le sens qu’elle donne à sa vie (cf. définition du Larousse) ?

Le sens au travail est donc un concept personnel et mouvant, car il évolue notamment selon les expériences/évènements professionnels et personnels et l’âge. J’insiste sur le caractère personnel, car cela signifie qu’il n’y a pas d’activités professionnelles qui ont plus de sens que d’autres.

2/ Le sens au travail fragilisé par les épreuves de travail


Outre le fait que tout le monde en parle, pourquoi s’intéresser au sujet du sens au travail ?

A. A l’échelle de l’organisation

Pour une organisation, ce sujet revêt un caractère stratégique, tant le déficit de sens ou le non-sens au travail des individus peut l’impacter, à différents niveaux. Dans son ouvrage Donner un sens au travail, Caroline Arnoux-Nicolas détaille et démontre, dans le chapitre 2, qu’il existe des corrélations avérées entre sens au travail et bien-être, motivation, engagement et performance. L’étude conduite par la DARES « Quand le travail perd son sens » publiée en août 20214 établit un lien entre déficit de sens au travail et trois évènements : l’augmentation du nombre de jours maladie, « une probabilité accrue d’une mobilité professionnelle », et « une capacité accrue d’action collective sous la forme d’une adhésion syndicale » (p.42).

Je n’irai pas plus loin sur l’échelle organisationnelle. Même si les deux échelles sont évidemment liées, la suite de l’article porte principalement sur le sens au travail à l’échelle individuelle.

B. A l’échelle individuelle

A notre échelle d’individu, le sens au travail peut être vecteur de bien-être ou de mal-être.

Plus un individu trouve du sens dans son travail, plus il démontre un bien-être et du plaisir à travailler.

Selon les études conduites par Aronsson et al., 1999 et Morin, 20065

A l’inverse, plus un individu bascule dans du « non-sens », voire un déficit de sens, plus le quotidien devient difficile. Estelle Morin (2008)6 évoque même le fait que le déficit de sens est source d’absence et de maladie. Cherré & al.7 soulignent le lien existante entre la cohérence et la souffrance au travail, sur la base de la théorie de Dejours (1993) : « moins nous trouvons de cohérence dans ce que nous faisons, plus nous risquons de souffrir dans notre travail » (p. 164).

Or, aujourd’hui, au risque de vous déprimer pour le reste de la journée 🙂, nombreux facteurs multiplient les épreuves de travail. Et ces épreuves peuvent altérer le sens au travail. A titre d’exemple, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) impactent le travail. Bien évidemment en bien pour certains aspects. En moins bien pour d’autres : urgence, surabondance d’informations, déconnexion difficile, appauvrissement de certaines tâches, isolement, etc.
Il y a des épreuves de travail, de nature structurelle (ex : je suis éloignée du centre de décision) ou managériale (ex : je subis un hypercontrôle de la part de ma hiérarchie).

De mon point de vue, ces épreuves de travail sont à l’origine de l’ampleur que prennent les questionnements sur le sens au travail. Il y a bien évidemment des aspirations plus personnelles. Mais ces évènements sont bien souvent les déclencheurs de ces questionnements.

3/ A l’inverse, quels sont les vecteurs qui favorisent le sens au travail ?


Alors, comment trouver le sens, ou du moins ne pas le perdre ?

Voici le modèle3 proposée par Estelle Morin, qui se décline en 6 dimensions (sources/vecteurs), qu’elle a proposé suite à ses enquêtes terrain et ses observation.

J’ai choisi ce modèle car il démontre un point fondamental : le sens au travail ne se limite pas à la cohérence avec ses valeurs ou à l’utilité sociale du travail exercé. Il y a d’autres paramètres que ceux-ci, et je trouve qu’ils sont souvent oubliés.

Nota : le sens au travail étant personnel, ces dimensions sont plus ou moins importantes selon les individus.

La rectitude morale

Il s’agit de pouvoir exercer son travail en harmonie avec sa conscience et ses valeurs. Estelle Morin indique « qu’un environnement de travail qui respecte les valeurs humaines, la justice et la dignité humaine renforce le sens ».

L’utilité du travail

Mon travail a de la valeur ajoutée pour les autres et pour la Société (et je le perçois concrètement). Elle est assimilable à l’utilité sociale que nous voyons plus couramment dans les articles.

Cela présuppose que mon management m’a donné une direction claire, et une mise en perspective de mon activité à une échelle plus globale.

L’autonomie

Ce champ recouvre deux éléments. Le premier est d’avoir un champ d’autonomie suffisant afin de pouvoir agir avec compétence : je connais mon métier, j’ai l’expérience terrain, mon manager me laisse l’autonomie suffisante pour pouvoir proposer des solutions adaptées aux problématiques rencontrées. Le deuxième élément est le fait d’être consulté pour les décisions qui me concerne.

Les occasions d’apprentissage et de développement

Mon travail me permet de mettre à contribution mes compétences, il me permet de me réaliser. J’ai également la possibilité de me développer (ex : formations, projets, etc.), et j’ai des perspectives d’évolution.

La qualité des relations avec le management

Mon management est clair sur ses attentes et les objectifs fixés. En cas de difficulté, je suis en mesure de le solliciter pour essayer de trouver des solutions, je me sens soutenu(e). Je suis reconnu(e).

La qualité des relations au sein de l’équipe

Le cadre humain dans lequel nous travaillons doit être respectueux et bienveillant. Il doit également nous permettre de nous exprimer, de pouvoir proposer. Cela passe par un management enclin à proposer et à maintenir ce cadre.

Si vous vous interrogez sur le sens au travail, je vous invite à essayer de vous positionner sur chaque dimension. Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’est-ce qui renforce mon sens au travail ? Qu’est-ce qui l’altère ? Comment remédier à cela à court terme ? Y-a-t-il des solutions autres que partir ? Etc.

Si cette réflexion s’inscrit dans la recherche de votre futur poste : trouver un emploi utile socialement et répondant à vos valeurs ne sera pas une condition nécessaire et suffisante pour plus de satisfaction. Aussi, je vous invite à bien vous renseigner sur les secteurs et les entreprises ciblés, sur les environnements de travail et notamment la qualité des relations.

Sources

1 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sens/72087

2Arnoux-Nicolas C, Donner du sens au travail – Pratiques et outils pour l’entreprise, Editions Dunod, Malakoff, 2019

3https://orius.fr/2016/10/12/estelle-m-morin-donner-un-sens-au-travail/

4https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quand-le-travail-perd-son-sens

5Extrait de l’article suivant : Cherré B., Laarraf Z. & Yanat Z., « Dissonance éthique : forme de souffrance par la perte de sens au travail », Recherches en Sciences de Gestion, vol. 100, no. 1, 2014, pp. 143-172.

6Morin E., « Sens du travail, santé mentale au travail et engagement organisationnel », IRSST, Études et recherches / Rapport R-543., 2008

7Cherré B., Laarraf Z. & Yanat Z., « Dissonance éthique : forme de souffrance par la perte de sens au travail », Recherches en Sciences de Gestion, vol. 100, no. 1, 2014, pp. 143-172.

Last Updated on 18 novembre 2024 by Daphnée DI PIRRO