Sonnons la fin du bal masqué

Ohé. Ohé.

J’ai longtemps hésité à écrire cet article, car je trouve que beaucoup de choses ont été dites sur le syndrome de l’imposteur.

Pour proposer quelque chose de différent, ou tout du moins complémentaire à ce que vous avez pu lire, je me suis appuyée sur deux ressources.

La première, c’est la thèse de Kevin Chassangre1 sur le sujet, très riche et facile à lire !
La deuxième, c’est mon expérience personnelle. Je pense que c’est l’un de mes articles les plus personnels.

Le syndrome de l’imposteur est bien plus complexe que l’inconfort lié au démarrage d’un nouveau challenge ou l’étonnement face à une promotion, un succès inattendu.
C’est au-delà du malaise que nous pouvons ressentir quand nous débutons.
C’est un sentiment, une peur, une perception négative de soi. Un syndrome subjectif.
Pour y faire face, nous développons des stratégies coûteuses. L’une d’entre elles est de nous présenter aux autres d’une façon différente ce que nous sommes vraiment. Nous portons un masque. Notamment, pour qu’ils nous approuvent et ne se rendent pas compte de notre incompétence supposée.

Comprendre les déterminants de ce syndrome permet de comprendre « ce qui se joue » (partie 1). C’est déjà un premier pas vers le dépassement de ce syndrome. Pour aller plus loin, je vous livre les leviers que j’ai mis en œuvre pour le dépasser quand il s’est présenté (partie 2). Enfin, une perspective intéressante : il n’a pas que des désavantages (partie 3) !

1/ Les déterminants de ce syndrome


A. Chez l’imposteur supposé(e), 3 tendances marquées

Nota : la majorité des informations que je vous présente ci-après sont extraites de la thèse de Kevin Chassangre. Les sources sont donc consultables dans cette dernière.

Plusieurs chercheurs se sont intéressés à ce syndrome, dont ils proposent différentes manifestations. Néanmoins, ces dernières peuvent être regroupées en trois tendances1 :

L’illégitimité

Un sentiment d’illégitimité malgré les preuves évidentes et légitime de succès

La minimisation

La minimisation des succès et leur attribution à des facteurs externes

La tromperie mise à nue

La peur d’être un jour démasqué(e) par les autres.

Il est important de noter que l’objet de ce syndrome est pluriel : compétences, intelligence, relations humaines, rôle dans la famille, etc.

B. Qu’est-ce qui favorise son émergence ?

Tout d’abord, les études conduites tendent à confirmer une non corrélation entre syndrome et sexe. N’importe quel individu peut éprouver ce syndrome.
Néanmoins, les femmes (comme les personnes issues des minorités) sont plus à même d’en souffrir en raison des stéréotypes sociaux dont elles font l’objet. Par exemple, une femme qui accède à un CODIR peut éprouver ce syndrome parce qu’il y a, dans les faits, peu de femmes à ce type de fonctions.

L’expérience et la pratique sont vectrices d’une diminution du sentiment d’imposture. C’est la raison pour laquelle ce syndrome est particulièrement accentué face à un nouveau challenge ou lors d’une transition de vie (début de carrière, nouveau poste, reconversion, etc.).

De même, certains environnements peuvent le favoriser. Par exemple, un environnement professionnel compétitif ou une forte pression de performance, ou bien encore un isolement professionnel. Sur ce dernier point, il est prouvé que le soutien de collègues ou de mentors limite l’apparition de ce syndrome.

Enfin, l’environnement de développement et le contexte familial jouent un rôle clé, notamment parce qu’ils contribuent à générer de multiples représentations limitantes à certains égards.

Par exemple, les messages parentaux (ou les silences !) ont un impact significatif sur la variance du syndrome de l’imposteur. Notamment, ceux qui valorisent à outrance l’intelligence ou la performance. Ou à l’inverse, les réussites non valorisées : dans ce cas, on parle d’absence de renforcement.
Un environnement de développement contrôlant, exigeant ou surprotecteur peut favoriser également son apparition.
Nota : je vous invite à consulter la thèse de Kevin Chassangre qui développe de nombreux points sur cela.

C. Tendances notables

Sans être exhaustive, voici une liste de quelques tendances (ou caractéristiques) intéressantes constatées chez des personnes souffrant de ce syndrome, dont nous percevons aisément les liens :

  • Une surévaluation de ce que sont intelligence et compétences,
  • Une faible estime de soi,
  • Une mauvaise évaluation de ses capacités réelles (le terme exact est « le dénigrement de ses compétences »),
  • Une autodépréciation constante, plus particulièrement dans une sphère publique,
  • Un perfectionnisme marqué,
  • Une propension à procrastiner ou à l’inverse, une surpréparation,
  • La peur de l’échec.

Enfin, les autres constituent un élément majeur dans ce syndrome. Les imposteurs supposé(e)s craignent l’évaluation par les autres, dont ils surestiment/surévaluent la légitimité (ex : intelligence, compétences, etc.). En outre, ces personnes peuvent être profondément gênées lorsqu’elles reçoivent des compliments.


Pourtant, elles sont dépendantes de l’approbation des autres, qui conditionne l’amour qu’elles se portent (je simplifie beaucoup). Et malheureusement, elles croient que pour être approuvées par les autres, elles doivent accomplir des réalisations hors normes.

D. En synthèse

Holmes, Kertay, Adamson, Holland, & Clance (1993)2 ont dressé une liste de critères descriptifs du syndrome de l’imposteur. La personne doit présentée au moins cinq caractéristiques de la liste ci-dessous (ma propre traduction) pour considérer qu’elle souffre d’un syndrome de l’imposteur.

1Se décrit comme un(e) intellectuel(le) « bidon », un(e) fraudeur(se), un(e) imposteur
2A du mal à accepter les compliments
3A du mal à croire que les compliments et autres sont mérités
4A tendance à être déçu(e) par les réalisations ; pense qu’il/elle aurait dû en faire plus
5Craint que les autres ne découvrent son manque de connaissances ou d’aptitudes
6A peur de l’échec
7Craint de ne pas savoir réitérer ses succès
8Estime qu’il ne renvoie pas la même image en public et en privé
9A tendance à réussir même s’il/ si elle craint l’échec avant d’essayer
10A peur de ne pas être à la hauteur des attentes
11Se sent moins capable que les autres ou moins brillant(e) malgré des preuves objectives du contraire
12A tendance à attribuer le succès à des causes externes
13Peut croire que les rituels sont nécessaires pour assurer le succès
14Peut préférer des postes peu stimulants parce qu’il/elle craint d’échouer dans les postes correspondant à ses capacités
15Est incapable d’intérioriser le succès ; et persiste à croire en la faiblesse de ses capacités, malgré l’accumulation de preuves objectives du contraire

2/ Le limiter, c’est poser l’hypothèse que nous avons tort


Les données précédentes soulignent le caractère subjectif de ce syndrome. Il n’est pas basé sur des faits, mais sur une perception de soi assez négative.

Pour dépasser ce syndrome, il est souvent recommandé de recenser ses succès pour se les approprier. Effectivement, en procédant ainsi, il s’agit de s’accrocher à des faits. Ramener du factuel dans une situation qui, elle, est émotionnelle.

A quelques étapes de ma vie professionnelle, j’ai éprouvé ce syndrome. Et si recenser mes succès m’a aidée, j’ai mobilisé d’autres leviers que je vous partage ci-après.

J’ai requestionné mes croyances et j’ai posé un regard renouvelé sur les choses.

Nous sommes nombreux à douter

Très peu d’individus, qu’ils aient déjà occupé ce genre de poste ou pas, entrent en fonction en se disant qu’ils sont qualifiés pour être P-DG. Ils ne l’avoueront jamais, mais c’est vrai.

Howard Schultz, PDG de Starbucks3

62 à 70 % des personnes seraient amenées, au moins une fois de leur vie, à douter de leur légitimité. D’autres études mettent en évidence que 20% de la population souffriraient du syndrome de l’imposteur1.

Les autres ne sont pas ceux que nous croyons

Premièrement, on peut avoir tendance à surévaluer les autres. Ce qui m’a aidée à cheminer, c’est de comprendre que je « valais autant » que les autres. Ce nouveau regard m’a permis d’accorder une plus juste place à l’avis/ l’évaluation des autres. Désormais, ces avis/évaluations s’inscrivent en complémentarité des miens et non plus au-dessus.

Deuxièmement, les autres n’ont pas les mêmes lunettes que nous quand ils nous évaluent.
En effet, nous pouvons avoir tendance à croire qu’ils ont des attentes vis-à-vis de nous similaires aux nôtres. Or, elles sont souvent bien plus réalistes !
En outre, les autres nous évaluent de façon plus lucide. C’est pour cela que c’est important d’entendre leurs retours.

Effectuons des comparaisons plus scientifiques !

Si vous débutez dans le trail, il ne semble pas pertinent de vous comparer à Kilian Jornet !

En effet, une comparaison pertinente et constructive requiert un point de référence adapté ! Exemple : même niveau d’expérience, même âge, même milieu social d’origine, même formation, etc.

Puis, il s’agit de comparer des faits. Et non des représentations de ce que vit ou fait l’autre.

La perfection est ennuyeuse

Ceux qui souffrent du syndrome de l’imposteur peuvent avoir une tendance au perfectionnisme.
Cela se traduit par un surinvestissement dans la réalisation d’une tâche : si celle-ci est parfaitement réalisée, personne ne pourra voir que c’est un imposteur qui l’a faite. Quel épuisement dans la durée…
Cela peut aussi produire l’effet inverse : puisque je ne peux pas réaliser cette tâche aussi parfaitement que je le voudrais, je ne fais rien. Le perfectionnisme nuit à l’action.

J’ai appris à lâcher prise grâce à la remarque d’une amie : la perfection, c’est ennuyeux ! Je me souviens encore de mon étonnement face à tant de discernement.

En effet, seriez-vous capables de regarder un film, une série, où tout se passe merveilleusement bien ? Sans aventure, sans rebondissement, sans effort ? Même dans les dessins animés pour enfants, tout n’est pas parfait.

La joie d’oser est plus forte que la peine d’échouer

Nous aimerions tous penser comme Nelson Mandela « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ». Difficile d’échapper à cette citation sur les réseaux sociaux 🙂 Cependant, nous n’avons pas grandi dans une culture qui valorise l’échec. Et même si intellectuellement, nous comprenons son utilité, il n’est pas aisé de le vivre.

Je mentirais si je disais que j’ai atteint le stade de sagesse de M. Mandela. Loin de là !

Bien sûr, avoir vécu des échecs développe une compétence de « traversée d’échecs » ! J’ai survécu une fois, je survivrai plusieurs fois.

Mais surtout, j’ai appris à être moins effrayée par l’échec car la joie d’avoir osé est plus forte que la peine d’avoir échoué. En revanche, je ne me lance jamais sans un minimum de préparation, visant à réduire la probabilité d’échecs 🙂

Enfin, me repositionner au même niveau que les autres m’a aussi aidée à mieux composer avec leurs regards.

3/ Derrière ce syndrome, une compétence cachée


Si j’ai écrit cet article, c’est parce que je suis tombée sur un article au titre évocateur « Le syndrome de l’imposteur n’a pas que des inconvénients »4.

Basima A. Tewfik, maîtresse de conférences à la MIT Sloan, a conduit études et expériences auprès de salarié(e)s imposteurs supposé(e)s. Dans cette interview, elle partage un atout majeur : les personnes souffrant de ce syndrome ont un meilleur relationnel.

Deux exemples de résultats assez évocateurs qu’elle a constatés au cours de ses recherches :

  • A la suite d’interactions délicates, des patients ont mieux évalué les médecins imposteurs supposé(e)s.
  • Les candidats à un poste, qui avaient été amenés à éprouver un sentiment d’imposture, ont été jugés meilleurs sur ce point par les recruteurs. En effet, ils posaient davantage de questions lors des discussions informelles précédent l’entretien d’embauche.

Sources

1Chassangre K., La modestie pathologique : pour une meilleure compréhension du syndrome de l’imposteur, Psychologie, Université Toulouse le Mirail-Toulouse II, 2016 (Thèse)

2Holmes, S. W., Kertay, L., Adamson, L. B., Holland, C. L., & Clance, P. R., Measuring the imposter phenomenon: A comparison of Clance’s IP scale and Harvey’s I-P scale, Journal of Personality Assessment, 1993, 60 (1), p. 48–59

3Interview d’A. Bryant, « Good C.E.O. s Are Insecure (and Know It), New Tork Times, 09/10/2010

4https://www.hbrfrance.fr/magazine/2022/12/51643-le-syndrome-de-limposteur-na-pas-que-des-inconvenients/

Last Updated on 22 juin 2023 by Daphnée DI PIRRO