Vers une place professionnelle plus alignée avec ce que nous sommes…et ne sommes pas !

Dernièrement, j’ai relu l’ouvrage Managing oneself1 de Peter Drucker, expert américain du management d’entreprise. Il explique que nous n’avons plus le choix2 : nous devons apprendre à « nous manager » si nous voulons conduire au mieux nos vies professionnelles. Comme un chef dirige une entreprise ! Même si tout ne dépend pas de nous, bien évidemment.

Même si, à mon sens, son propos est parfois assez orienté performance, il partage cinq questionnements intéressants. Abordés régulièrement, ils permettent de savoir pourquoi, quand et comment « changer le travail que nous faisons« , voire changer de travail.

1/ Quelles sont mes forces ?

2/ Comment j’excelle ?

3/ Quelles sont mes valeurs ?

4/ Où est et où n’est pas ma place ?

Sur ce point, Drucker insiste sur l’importance d’avoir répondu aux trois premières questions pour avoir un début de réponse.

5/ A quoi devrais-je contribuer ?

Par ailleurs, l’auteur propose de prendre notre part de responsabilité dans nos relations au travail, avec un point de vue désagréable à conscientiser, mais instructif :).

En relisant son travail, j’ai trouvé qu’il aidait à réfléchir à certains déterminants de notre « juste » place professionnelle. J’apprécie particulièrement l’idée (telle que je la perçois), qu’il est important d’occuper une place professionnelle alignée avec ce que l’on est ET ce que l’on n’est pas ou peu. Comme une invitation à nous assumer pleinement.
Reconsidérer nos relations avec les autres est aussi un axe pertinent pour mieux appréhender cette place.

Aussi, dans cet article, je ne vais pas vous présenter tous les éléments clés du livre de Drucker. A l’appui de ses travaux, j’ai plutôt choisi de vous partager quatre axes de réflexion qui peuvent vous aider à aller vers une place professionnelle plus équilibrée, en restant ou non à votre poste actuel !

Nota : je n’ai pas fait de focus particulier sur les valeurs car je pense que nous en savons désormais tous assez ! Néanmoins, cela reste un point essentiel de la réflexion.

1/ Une place où nos forces peuvent s’exprimer


A. D’abord, comment discerner nos forces ?

Questionnement peu révolutionnaire, nous sommes d’accord. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont Peter Drucker propose d’y répondre. Pour lui, la seule façon de nommer ses véritables forces, c’est de procéder à une analyse de nos actions passées, sur 2 à 3 ans (personnelles et professionnelles).

Quels étaient nos objectifs, nos attentes au moment où nous avons mis en œuvre tel projet, telle action ? Et quels résultats (des faits) avons-nous finalement obtenu ?
Que révèlent sur nos forces les résultats et l’écart entre le voulu et le réalisé ?

Je pratique cette méthode depuis 15 à 20 ans maintenant, et chaque fois que je la pratique, je suis surpris. L’analyse de mes actions passées, par exemple – et à ma grande surprise – est que j’ai une compréhension intuitive des personnes techniques, qu’elles soient ingénieures, comptables ou spécialistes des études de marché. Cela m’a aussi montré que j’étais peu en phase avec les généralistes.

Peter Drucker1, traduction personnelle

Cela présuppose, nécessairement, une certaine forme de lucidité et d’humilité. Lucidité pour reconnaître effectivement nos forces, et humilité pour reconnaître que nous avons aussi des faiblesses.
Identifier nos forces requiert de s’attacher à des faits, et non à des impressions :

  • des résultats chiffrés,
  • des délais respectés,
  • des satisfactions exprimées,
  • des objectifs atteints,
  • des budgets non dépassés,
  • des problèmes/des conflits évités,
  • des commandes prolongées, renouvelées,
  • Etc.

En complément de ce que propose Drucker, j’ajouterais que les véritables forces sont celles qui, lorsqu’elles sont mobilisées, nous procurent du plaisir et du sens. C’est ce que j’appelle les talents. A titre d’illustration, je sais parfaitement appliquer le théorème de Pythagore (le fait : mes bons résultats en mathématiques au collège). Ai-je un plaisir particulier à le faire ? Cela est moins sûr !

B. Muscler nos forces et assumer ce que nous ne sommes pas

Peter Drucker nous proposent plusieurs actions. D’abord, deux très évidentes :

  • Œuvrer dans un métier, un environnement, des activités où nos forces sont mobilisables, et peuvent donc produire des résultats, de la valeur ajoutée. Dans son poste actuel, il peut s’agir de se concentrer sur les tâches qui mobilisent nos forces, quitte à rediscuter, si possible, le périmètre d’action de son poste avec sa hiérarchie.
  • Développer les compétences plus fragiles ou manquantes qui peuvent nous être utiles.

Puis, il nous invite à dépasser notre arrogance intellectuelle. Il pose le constat que pour beaucoup d’entre nous, notre arrogance peut nous conduire à nous contenter de ce que nous sommes et savons. Selon lui, ce trait est d’autant plus accentué quand nous présentons un profil d’expert.
Cette rétrospective est donc l’occasion de conscientiser ces habitudes « arrogantes », pour essayer de les abandonner.

Enfin, Drucker nous invite à assumer ce que nous ne sommes pas. Selon lui, il y a forcément des domaines où nous ne serons jamais au top, malgré tous les efforts que nous pourrons consentir.
Et cela est souvent difficile à assumer dans son poste actuel, j’en conviens. Il est plus courant de garder dans son périmètre certaines activités pour lesquelles nous ne sommes pas les meilleurs éléments. Et rien de pire que l’insistance de votre hiérarchie même quand vous le verbalisez.
La seule chose que je peux conseiller, et qui est un retour d’expérience, c’est d’argumenter sur ce que vous pourriez produire comme valeur ajoutée si on vous libérait de ces tâches sur lesquelles vous en avez factuellement peu.

2/ Une place en réelle adéquation avec notre façon de fonctionner


Formulé autrement, à quelles conditions, dans quels positionnements, sommes-nous les plus performant(e)s ? Par exemple :

  • Un cadre structuré pour avancer ou une liberté accrue ?
  • Œuvrer en équipe ou plutôt seul(e) ?
  • Des projets / activités qui s’inscrivent dans un temps long ou des délais courts ?
  • Management, gestion de projet ou expertise ?
  • Petite, moyenne ou grande structure ?
  • Posture de conseil (aide à la décision) ou décisionnaire ?
  • Etc.

A titre d’illustration, Drucker évoque le Général George Patton, commandant de l’armée américaine lors de la Seconde Guerre mondiale.

Patton était le meilleur commandant de troupes des États-Unis. Pourtant, lorsqu’on lui a proposé un commandement indépendant, le général George Marshall, chef d’état-major des États-Unis – et probablement le meilleur recruteur d’hommes de l’histoire des États-Unis – a déclaré : « Patton est le meilleur subordonné que l’armée américaine ait jamais produit, mais il serait le pire commandant.« 

Peter Drucker1, traduction personnelle

Par ailleurs, Drucker insiste particulièrement sur la pertinence de connaître notre façon d’apprendre. Apprenons-nous en écoutant ? en écrivant ? en lisant ?

A mon sens, connaître les conditions dans lesquelles nous nous épanouissons est fondamental. Je constate, au fil de mes accompagnements, que le bât blesse souvent à ce niveau.
Il arrive très souvent que nous persistions dans des environnements, dans des positionnements qui ne nous correspondent pas, mais qui reflètent une certaine idée que nous avons de la réussite et de la performance. Ou tout simplement, par méconnaissance de ce que nous sommes et ne sommes pas.

Dresser le cahier des charges de son mode de fonctionnement est très utile. Si vous êtes en poste, cela peut vous donner des clés pour vous repositionner autrement, voire vous faire prendre conscience que votre place est peut-être ailleurs.

Focus sur un positionnement particulier : le management

En France, la filière management est la filière de progression la plus reconnue. Seuls quelques secteurs valorisent également la filière expertise.

Au cours de ma thèse professionnelle, j’ai recueilli des témoignages de cadres qui étaient devenus managers parce que cela était la seule possibilité d’évolution qui s’offrait à eux, en matière de statut et de rémunération. Certains ont compris, a posteriori, la signification réelle de cette fonction et rencontraient des difficultés à s’épanouir en l’exerçant. Par manque de formation* ou d’accompagnement, et/ou parce qu’au plus profond d’eux-mêmes, ce n’était pas dans ce rôle et ce qu’il requiert qu’ils prenaient le plus de plaisir.

*Quand j’étais étudiante en mastère RH, j’avais demandé à l’un de mes enseignants, ponte du domaine, si tout le monde pouvait réellement devenir manager. Selon lui, le management s’appuie sur 10% de talents innés et 90% de talents acquis.
Aussi, si l’envie est réellement là, il est possible de devenir un bon manager (au moins à 90 % :)), pour peu que vous soient donnés les moyens de bien travailler !

3/ Une place où nous pouvons contribuer utilement


Drucker aborde la question « A quoi devrais-je contribuer ? (What should I contribute ?)  » sous un angle très opérationnel. Selon lui, nous devons apprendre à contribuer en faisant une différence visible et mesurable. Comment ?

En analysant la situation et en identifiant ce qu’elle requiert pour la résoudre

En nous appuyant sur nos forces et sur nos véritables modes de fonctionnement

En nous fixant des objectifs à court /moyen termes (~18 mois max), ambitieux mais réalistes

Si je me permets un résumé caricatural, il nous rappelle ainsi l’importance de bien discerner une situation, de contribuer à la résolution des problèmes identifiés en y mettant la juste énergie (agir selon nos forces, et ce sur quoi nous pouvons effectivement agir), en avançant pas à pas.

En matière de contribution, je pense qu’il est pertinent d’y ajouter une autre dimension : à quoi ai-je envie de contribuer plus globalement, directement ou indirectement ?
Y-a-t-il une cause qui me tient à cœur (ex : éducation, environnement, santé) ?
Par mon action au sein de l’entreprise, à quoi est-ce que je contribue actuellement et à quoi ai-je envie de contribuer (ex : aux relations saines, à la bonne santé financière de l’entreprise et donc à sa survie, à son éthique, à sa responsabilité sociale et environnementale, etc.) ?

Nota – Je voudrais souligner un point : la notion de contribution utile n’est pas forcément synonyme de servir une grande cause telle que la cause environnementale par exemple. Par exemple, si mon travail aide mes collègues à faire le leur dans de meilleures conditions, alors je peux trouver cette contribution utile. Quel que soit mon secteur d’activité, quelle que soit ma fonction. Dans ce cas, on pourrait dire que je contribue, d’une certaine façon, au bien-être au travail, à la performance de l’entreprise, aux bonnes relations humaines dans le monde du travail, etc.

4/ Une place où nous assumons notre part de responsabilité dans nos relations au travail


(…) Il en va de même pour tous vos collègues de travail. Chacun travaille à sa manière, pas à la vôtre. Et chacun a le droit de travailler à sa manière. (…). Le premier secret de l’efficacité consiste à comprendre les personnes avec lesquelles vous travaillez et dont vous dépendez afin de pouvoir utiliser leurs forces, leurs méthodes de travail et leurs valeurs. Les relations de travail reposent autant sur les personnes que sur le travail.

Peter Drucker1, traduction personnelle

Au travail, quel que soit notre statut (salarié ou non, collaborateurs ou chefs), nous sommes tous dépendants dautres personnes. Pourtant, nous pouvons avoir tendance à porter un intérêt limité à l’autre. A ce qu’il est : ses forces, ses valeurs, son mode de fonctionnement privilégié, etc. J’ajouterai aussi à ses enjeux et à ses contraintes.

Chaque fois que moi, ou tout autre consultant, commençons à travailler avec une organisation, la première chose dont j’entends parler, ce sont tous les conflits de personnalité. La plupart d’entre eux proviennent du fait que les gens ne savent pas ce que d’autres personnes font et comment ils travaillent, ni sur quelle contribution les autres se concentrent et quels résultats ils attendent. Et s’ils ne le savent pas, c’est parce qu’ils n’ont pas demandé et qu’on ne leur a donc pas dit.

Peter Drucker1, traduction personnelle

Si nous sommes honnêtes, nous pouvons nous montrer autocentrés. Souvent parce que nous poursuivons nos objectifs, sous pression, et que nous n’avons pas / ne prenons pas le temps de ces analyses-là. Nous avons la tête dans le guidon, sans que cela fasse de nous des mauvaises personnes !
De même, nous pouvons avoir tendance à mal communiquer sur nos propres forces, nos valeurs, nos enjeux, notre mode de fonctionnement, etc.

J’apprécie particulièrement le propos de Peter Drucker sur les relations au travail. Parce que je n’ai eu de cesse de constater ce manque de compréhension mutuelle pendant ma précédente carrière (notamment entre fonctions supports et cœur de métier). Mon côté idéaliste trouve dommage que nous ne fassions pas ces efforts-là d’intérêt mutuel !
Une meilleure compréhension de l’autre permet une meilleure interaction, une meilleure communication. Elle renforce notre capacité à « aller chercher l’autre » (et réciproquement). Et donc à limiter les quiproquos et les situations conflictuelles qui nuisent profondément à notre bien-être au travail.

Sources

1Drucker P.F., Managing Oneself, Harvard Business School Publishing Corporation, 2008 (Originally published in Harvard Business Review in March 1999)

2Plusieurs raisons à cela, dont je vous en détaille certaines dans mon article sur les compétences de carrière.

Last Updated on 3 mars 2023 by Daphnée DI PIRRO