La motivation dans tous ses états – Épisode n°4

En choisissant la motivation comme thème de l’année 2023, j’avais une quête, que je poursuis toujours : comprendre les caractéristiques d’une motivation qui s’inscrit dans le temps.

Pourquoi sommes-nous incapables de tenir nos résolutions dans le temps ?
Pour
quelles raisons ce job qui me paraissait parfait sur le papier ne me motive pas autant que je le pensais ?
Pourquoi ai-je du mal à motiver mon équipe ?
Vais-je vraiment m’épanouir si ma passion devient mon activité principale ?
Etc.

En réalité, vous êtes-vous déjà posés cette question : pourquoi faisons-nous ce que nous faisons ?
Par plaisir ? Pour le sens que nous y trouvons ? Par égo ? Pour gagner de l’argent ? Pour répondre aux attentes de nos proches ?
Oui, il existe plusieurs raisons possibles, qui peuvent se combiner.
Cependant, plus nous répondons “oui” de façon enthousiaste aux deux premières questions, plus nous avons de chance d’être motivés de façon qualitative (persistance, bien-être, performance, etc.).

C’est ce que démontre la théorie de l’autodétermination (TAD pour les intimes) d’Edward Deci et de Richard Ryan. Cette théorie est l’une des théories motivationnelles les plus établies, qui a fait l’objet de nombreuses études.
Dans cet article, je vais vous présenter ses fondements et je vous partagerai, dans un prochain article, les éléments qui favorisent ou non une motivation de qualité selon la TAD.

Nota : tout ce que je vous propose ci-dessous provient des travaux de Deci & Ryan, les pères fondateurs de la théorie. Je m’appuie également sur le livre Libérer la motivation de Forest et al2.

1/ L’appât du gain est-il si motivant que cela ?


Jusqu’à l’apparition de la TAD, la récompense était considérée comme levier principal de motivation (récompenser pour accroître la probabilité que la personne reproduise le comportement souhaité).

En 1971, Edward Deci1 vient bousculer ce postulat. Son étude démontre que la récompense n’est pas l’unique moteur, et qu’elle peut même avoir un effet contre-productif.

A. A vos pièces, prêts ? Partez !

Deci recrute 24 de ses élèves en psychologie pour son expérience. Cette dernière consiste à reproduire des formes avec des puzzles 3D.
Sans qu’ils le sachent, les élèves sont répartis en deux groupes. Un groupe témoin (groupe 1) et un groupe expérimental (groupe 2).
L’étude se déroule sur 3 périodes de 1 heure, réparties sur 3 jours.
Au cours de chaque période, l’étudiant doit reproduire 4 formes.

La période 1 consiste, pour chaque élève, à reproduire les formes, dans un temps imparti de 1 heure, sans objectif de performance. Il leur est simplement dit que l’observateur (Deci himself) regardera la façon dont ils s’y prennent pour résoudre les puzzles. En effet, les élèves croient qu’ils réalisent une expérience sur la résolution de problèmes !

Puis, pour la période 2, les élèves du groupe expérimental (groupe 2) sont informés qu’ils recevront 1 dollar par puzzle réalisé en moins de 13 minutes. Les élèves du groupe 1, eux, réalisent l’exercice dans les mêmes conditions que la période 1.

Enfin, la période 3 se déroule dans les mêmes conditions que la période 1. Avant le démarrage, il est indiqué aux élèves du groupe 2 qu’ils ne pourront pas être payés à l’issue de cette période car il n’y a plus d’argent !

B. Comment est mesurée la motivation dans cette expérience ?

L’indicateur retenu est celui du temps libre passé à réaliser les formes. En effet, pour chaque période et chaque individu observé, Deci sort de la pièce 8 minutes. A chaque fois, il indique au participant qu’il a la possibilité de faire ce qu’il veut au cours de cette pause (ex : lire un des magazines mis à disposition (dont Playboy !), etc.).

Deci se place ensuite derrière une vitre sans tain et chronomètre le temps que l’élève passe à résoudre les puzzles pendant le temps de pause supposé.

C. Des résultats contre-intuitifs !

Au cours de la période 1, le groupe 2 passe 248.2 secondes du temps de pause à résoudre les puzzles (51% du temps), alors que les élèves du groupe 1 passent en moyenne 214 secondes (44% du temps). L’étude n’explique pas cette différence…

Ce même résultat est observé sur la période 2 et se renforce ! Le temps passé par le groupe 1 est sensiblement le même. Par contre, les élèves du groupe 2, qui savent qu’ils peuvent être récompensés en cas de réussite, passent environ 65 secondes de plus à le faire que lors de la période 1 (environ 313 secondes, soit 65% du temps de pause). La perspective de récompense semble avoir renforcer leur motivation.

En réalité, ce sont les résultats de la période 3 qui sont étonnants ! Les élèves du groupe 2, qui ne peuvent plus être récompensés passent environ 198 secondes à résoudre des puzzles pendant leur pause (-20% du temps passé par rapport à la période 1, -37% par rapport à la période 2).
Les élèves du groupe 1, eux, voient leur motivation sensiblement croître (241 secondes).

Que retenir de cette étude ?

  • Il existe une motivation autre que celle générée par une perspective de récompense. En effet, les deux groupes se lancent volontiers dans la période 1, et le groupe 1 continue de réaliser sa tâche avec la même intensité.
  • L’introduction de motivation extrinsèque (ici une rémunération) peut impacter négativement la motivation pourtant initialement présente. Je reviendrai sur ce point dans un prochain article !

2/ Les types de motivation selon la TAD


A. Les définitions de base

Commençons par le plus simple. Il y a d’abord l’amotivation. C’est l’absence de motivation. Dans ce cas, nous n’avons aucune intention d’agir !

Ensuite, il y a la motivation intrinsèque. Dans ce cas, c’est l’activité en tant que telle qui nous motive, car nous prenons du plaisir à la pratiquer. Nous n’attendons pas, dans ces cas-là, de récompenses en retour, si ce n’est la joie de réaliser la tâche. Par exemple, dans mon cas, il s’agit de rédiger ces articles 🙂 De votre côté, qu’aimez-vous faire, quel que soit le résultat ?

Enfin, il y a la motivation extrinsèque. C’est tout ce que nous faisons, non pas pour l’activité elle-même et le plaisir qu’elle nous apporte, mais pour des motifs externes à nous. Par exemple, pour obtenir une récompense, ou être reconnu par des pairs, ou par fierté personnelle, ou parce que cela a du sens, etc.
Selon la TAD, il existe 4 types de motivations extrinsèques, plus ou moins intégrées à soi : motivation externe, motivation introjectée, motivation identifiée et motivation intégrée (*non représentée sur le schéma ci-dessous).

Elles varient selon le niveau d’autodétermination (le niveau maximum d’autodétermination étant celui de la motivation intrinsèque). Je vous explique cela de suite !

B. Le continuum d’autodétermination

Ou la théorie de l’intégration organismique ! Mais, faisons simple 🙂

La motivation externe
(ou régulation externe)

La motivation externe (ou régulation externe) porte sur tout ce que nous faisons pour obtenir des récompenses (ex : salaires, rendre ses parents fiers) ou fuir des conséquences négatives (ex : licenciement, ne pas décevoir ses amis). Les motifs sont uniquement externes, et elle appartient à la catégorie “motivation contrôlée”. Le niveau d’autodétermination est donc faible, voire nul.

(les individus ayant une motivation externe) ne font que ce qu’ils pensent qu’ils “devraient” faire du point de vue des autres.

Forest et al.2, p. 47

La motivation introjectée (ou régulation introjectée)

La motivation introjectée concerne tout ce que nous faisons par injonctions internes. Bien évidemment, ces injonctions proviennent de l’extérieur (ex : éducation, expériences, etc.), mais elles sont devenues les nôtres. Nous les avons intégrées. C’est la raison pour laquelle, la motivation introjectée est plus en aval sur le continuum de l’autodétermination. Cependant, elle reste une motivation contrôlée, comme la motivation externe.

Le “devoir” vient de l’intérieur.

Forest et al.2, p. 50

On parle aussi d’orgueil hubristique : nous faisons pour montrer que nous valons quelque chose, quand bien même l’activité ne nous plaît pas.
Ou pour éviter un sentiment de culpabilité.
Je ne vous cache pas que j’ai identifié bon nombre d’activités de cette nature me concernant. Et vous ?

La motivation identifiée
(ou régulation identifiée)

La motivation identifiée correspond à tout ce que nous faisons non pas par plaisir, mais parce que cela a du sens pour nous. Le comportement répond à quelque chose d’important pour nous, et il va produire une valeur ajoutée.

Les êtres humains sont, de manière inhérente, motivés par la croissance et la réussite, et ils s’engagent pleinement dans des tâches, même inintéressantes, lorsqu’ils en comprennent le sens et la valeur.

Deci & Ryan, cités par Forest et al.2, p.52

Il existe des activités que nous trouvions, au départ, sans intérêt, voire contraignantes, mais que nous avons su intégrer et que nous réalisons désormais de façon autonome, autodéterminée, donc encore plus à droite). Nous les avons intégrées car nous y avons trouvé de la valeur.
Prenons l’exemple de la tâche qui consiste à renseigner le temps passé sur les projets. Ceux qui le remplissent en temps et en heure ont compris l’utilité de ce reporting pour la gestion de l’entreprise. Ils ont aussi compris qu’en le remplissant tardivement, ils mettraient en difficulté les gestionnaires en charge du reporting, et n’en ont pas envie par respect pour leurs collègues. Bref, la tâche n’est pas sexy, mais ils en comprennent le sens. Donc ils font.
Cet exemple est une spéciale dédicace à ce contrôleur de gestion qui menaçait d’exécuter des chatons par jour de retard. Je vous rassure, aucun chaton n’a été exécuté, et ceux qui étaient toujours en retard, le sont restés malgré les menaces 🙂 !

Nota : La TAD évoque une 4ème motivation extrinsèque, également autodéterminée : la motivation intégrée. Elle est initiée par les valeurs propres à l’individu, à ses besoins et à ses buts. Elle est considérée comme extrinsèque car les actions sont réalisées non pas pour les actions elles-mêmes mais pour les résultats porteurs de sens, très importants personnellement. Vous conviendrez que la différence avec la motivation identifiée est ténue. Aussi, Forest et al.2 ne la considèrent pas, évoquant sa faible différenciation avec les motivations identifiée et intrinsèque dans les recherches à partir de questionnaires.

C. Ces motivations peuvent-elles se combiner ?

Bien sûr ! Nous pouvons être motivés de différentes manières. Forest et al.2 en proposent 4 (p. 72 et 73), que je vous présente sous forme de matrice.

Contrairement à ce que nous pourrions penser (en tout cas moi:)), ce sont les désireux (motivés autonomes) qui ont une motivation plus qualitative que les hautement motivés (motivés autonomes et contrôlés) ! Pourquoi ? J’y réponds dans la troisième et dernière partie !

3/ Le vécu associé à chaque motivation


Une motivation de qualité influe positivement sur notre engagement, notre satisfaction au travail, notre performance, notre bien-être, notre façon d’interagir avec les autres, etc.

Dans leur ouvrage, Forest et al2 s’appuient sur une méta-analyse de plus de 100 études pour établir le vécu associé à chaque motivation. Selon cette méta-analyse, la motivation intrinsèque est prédictrice de près de 50% des bénéfices attribués à la motivation (p. 68) !

Lorsque nous sommes motivés intrinsèquement, nous sommes moins stressés, et le risque de burnout est moindre. A ce sujet, le risque serait de 7% contre 49% pour ceux qui ont une motivation contrôlée (cf. étude de la firme belge Securex, p.75). Nous sommes plus satisfaits et enthousiastes vis-à-vis de notre travail. Plus impliqués, nous envisageons moins de partir et sommes plus attachés à notre entité. Nos relations avec nos collègues sont saines (entraide, comportements bienveillants). Nous sommes peu absents (fréquence et durée plus faibles).

Lorsque nous sommes motivés par le sens et l’utilité de ce que nous faisons (motivation identifiée), les apports sont assez similaires. Et un résultat peut vous surprendre : nous sommes plus performants que lorsque nous sommes intrinsèquement motivés ! Les auteurs soulignent que les raisons restent à approfondir, et que l’hypothèse principale est que le sens aide à persévérer face aux obstacles (là où le plaisir seul n’est a priori pas suffisant).

En revanche, dès lors que notre motivation est durablement contrôlée, notre bien-être et notre performance sont moindres. Selon les auteurs, la motivation contrôlée accentue le stress, le risque de burnout, et impacte notre engagement. Notre envie de partir peut être plus forte.

Ainsi, vous l’aurez compris, toute la clé pour être motivé(e), notamment au travail, est de développer la motivation autonome (intrinsèque et/identifiée).

Le fait d’être motivé de manière autonome pour les tâches essentielles de son rôle semble être le facteur prédictif le plus important de la satisfaction et un facteur préventif de l’épuisement. (…) Dès que vous “devez” faire quelque chose, il y a de fortes chances que ce sentiment se propage à d’autres activités. Il est donc important d’avoir un nombre suffisant de tâches motivantes de manière autonome dans votre rôle principal, et ce, afin d’endiguer cette marée noire pour la garder aussi loin et petite que possible.

Forest et al.2, p. 78

Sources

1Deci E. L., “Effects of externally mediated rewards on intrinsic motivation”, Journal of Personality and Social Psychology, 1971, 18(1), p. 105–115

2Forest J., Van den Broeck A.V., Van Coillie H. & Mueller M.B., Libérer la motivation – Avec la théorie de l’autodétermination, Editions Edito, 2022

Last Updated on 15 May 2023 by Daphnée DI PIRRO