Transition professionnelle: un entre-deux à apprivoiser

La première manière de caractériser la transition est de rappeler qu’il s’agit d’un entre-deux. L’individu en transition est entre deux situations, l’une, passée, jugée plus ou moins insatisfaisante, en voie de dépassement, parfois insupportable, et une situation future plus ou moins nette.

Mokhtar Kaddouri, dans un entretien réalisé par Anne-Claude Hinault1

Passage d’une situation professionnelle à une autre, une transition professionnelle est un entre-deux, parfois source de tension, d’incertitude et de stress. Transiter professionnellement, c’est accepter de perdre ses anciens repères et d’en construire des nouveaux. Nous quittons une situation connue pour un inconnu qui génère toute sorte de questionnements du type : serais-je à la hauteur ? je sais ce que je vais gagner, mais qu’est-ce-que je risque de perdre ?
Il est évident que l’intensité du vécu de ce passage dépend de paramètres tels que la nature de la transition professionnelle (ex : fonction nouvelle d’encadrement, reconversion, etc.), notre niveau de confiance en soi, le vécu de nos précédentes transitions, notre âge, etc.

Dans tous les cas, comment appréhender cet entre-deux, pour le vivre au mieux ? Pour répondre à cette vaste question, je vous propose deux éléments de réponse.

Premièrement, la transition ne prend pas fin, comme nous avons tendance à le croire, le premier jour officiel de notre nouvelle activité. Outre le fait que nous sommes perpétuellement en évolution, il semble plus cohérent de considérer qu’elle s’achève lorsque nous retrouvons, à nouveau, un certain sentiment de maîtrise.
Deuxièmement, face à des situations de trouble, il m’apparaît toujours essentiel de se documenter pour comprendre les processus en jeu, et donc développer les bonnes stratégies qui nous conduiront, à nouveau, vers ce sentiment de maîtrise. Dans cet article, je vous présente 4 processus (ou dynamiques de transformation) qui sont en jeu lorsque nous sommes en transition professionnelle et les facteurs favorisant leur mise en œuvre.

1/ La transition professionnelle : un remaniement en 4 dynamiques


Perret-Clermont et Zittoun (2002)2 abordent la transition selon deux dimensions : une dimension de rupture par rapport à une situation initiale et une dimension de remaniement visant à s’adapter à la nouvelle situation.
Par rupture, il s’agit d’une perte des repères acquis et consolidés lors de notre précédente expérience.
Pour vivre au mieux et réussir cette transition, un remaniement s’avère nécessaire, et engage 4 dynamiques décrites ci-après. Je précise que je les ai adaptés au contexte professionnel, les autrices abordant la transition de façon plus globale.

Dynamique 1 : acquérir de nouvelles compétences professionnelles

Pour occuper pleinement de nouvelles fonctions, nous devons acquérir de nouvelles compétences professionnelles (savoir, savoir-faire, savoir-être). Ce processus sera d’autant plus long que l’écart avec nos précédentes fonctions est important, comme dans le cas d’une reconversion professionnelle par exemple.

Dynamique 2 : acquérir de nouvelles compétences sociales

Le nouvel environnement professionnel dispose de ses propres codes et normes de fonctionnement. Il s’agit donc de parvenir à les décrypter, à les intégrer et à les incarner (si bien sûr, elles nous conviennent!). Cela recouvre de nombreux champs : la communication, les circuits décisionnels, la relation client, etc.

Dynamique 3 : opérer un changement identitaire (identité professionnelle)

La perte temporaire de repères associée à une transition altère notre identité professionnelle. Je développe ce point complexe et clé, plus en détails plus loin.

Dynamique 4 : donner un sens à cette transition

C’est une étape fondamentale qui consiste à créer un lien entre les expériences passée, présente et future. Cela nous permet de comprendre ce que nous traversons et nécessite une prise de hauteur. La mise en récit est un moyen qui facilite cette construction de sens et l’inscription de cette transition en continuité avec le passé.

Ces 4 dimensions sont bien évidemment étroitement liées. Il semblerait que des études convergent sur un point en particulier : la capacité à acquérir les nouvelles compétences professionnelles et sociales dépend des 2 dernières dimensions, qui constituent, dans une certaine mesure, le socle du remaniement.

En explorant ces dynamiques, j’ai voulu mieux comprendre ce que recouvrait celle du changement identitaire. En effet, ce processus s’inscrit dans une dimension psychologique qui n’est pas tout à fait mon domaine d’expertise. Par ailleurs, je trouvais la formulation, en tant que telle, assez radicale ! J’ai donc cherché à mieux comprendre ce qu’il en était, et c’est ce que je vous partage en point 2.

2/ Focus sur la dynamique de changement identitaire : périmètre et vecteurs


Claude Dubar (2000)3 définit l’identité comme un construit autour de 3 dimensions : le moi, les autres et le nous. En premier lieu, il y a l’image que nous avons de nous-même. Puis, il y a celle que nous aimerions renvoyer aux autres. Enfin, comme un effet miroir, il y a l’image que les autres nous renvoie.

L’homme choisit donc son métier en fonction de sa personnalité, de ses aspirations, de ses capacités, de ses expériences mais aussi de sa sensibilité à un secteur ou à une activité précise. Le choix d’un métier est bien le reflet de l’identité de l’individu telle qu’elle est au moment de ce choix.

Fray & Picouleau (2010)4, p.77

Assez aisément, nous pouvons convenir que notre identité professionnelle est un élément de notre identité. A ce titre, elle se construit sur la base de l’identité personnelle, de notre éducation, de notre formation initiale et de la place que nous accordons au travail. Sur ce point, et de façon très résumée, le travail contribue à notre besoin de reconnaissance par la société (dans un but d’intégration), par autrui (dans un but d’identification, de légitimité) et par nous-mêmes (dans un but réalisation de soi).

L’identité professionnelle est également le fruit des transactions que nous avons avec nous-mêmes et avec le cadre social dans lequel nous évoluons (organisations et professionnels). Par exemple, la construction de l’identité professionnelle est facilitée par la reconnaissance, par notre organisation et nos collègue, de la valeur ajoutée de notre fonction. De même, les marques de reconnaissance sur notre travail par nos collègues ou notre hiérarchie la favorisent.

L’identité professionnelle est en construction permanente. C’est un processus individuel, mais porté par une dynamique collective. Ce point s’illustre par les 3 vecteurs de construction de l’identité professionnelle présentés par Albert et al. (2003)5 :

1/ L’identité par le métier

Tout métier a ses propres codes et ses propres caractéristiques. Dans ce cadre, la construction de notre identité professionnelle est facilitée par l’apprentissage de ces éléments. Par cette connaissance, nous percevons mieux comment notre singularité, dans le métier, peut s’exprimer.

2/ L’appartenance à des groupes

Ces groupes peuvent être internes ou externes. Il peut s’agir de pairs, de son équipe, d’un club professionnel, etc. Ils ont la caractéristique commune d’avoir, chacun, des normes et des valeurs partagées entre membres du groupe. Appartenir à un groupe nous permet de nourrir notre pratique, notre singularité et notre besoin de reconnaissance.

3/ L’appartenance à une entité (entreprise, service, etc.)

Au même titre que l’appartenance à des groupes, appartenir à une entité contribue à construire notre identité professionnelle. Il y a également, dans ce cadre social, des normes et des valeurs globalement partagées et incarnées par les personnes qui y travaillent. Cette appartenance nous confère aussi une forme de reconnaissance sociétale, dans la mesure où appartenir à une entité incarne notre intégration dans la société.

Selon cette grille de lecture, nous comprenons, que lors d’une transition professionnelle, un changement identitaire soit à opérer, ces 3 vecteurs étant eux-mêmes redéfinis. Un nouveau volet de son identité professionnelle est à donc à écrire (et c’est normal).

3/ Quels sont les ressources qui facilitent les 4 dynamiques de transformation ?


Dans leur article, Perret-Clermont et Zittoun (2002)2 ont identifié quelques facteurs favorisant un remaniement positif, que j’ai transposé au monde professionnel :

  • La possibilité effective de conduire cette transition. Cela paraît assez trivial, mais il s’agit d’avoir les ressources idoines pour la conduire (temps, soutien, moyens), et un droit à l’erreur.
  • L’accès à des passerelles vers la nouvelle situation (par exemple, la mise en relation via son réseau qui conduit à un nouveau poste ou un programme de formation pour nouveaux arrivants)
  • Les récits d’autrui qui aident à construire le sens de cette transition (avant l’intégration de nouvelles fonctions, mais également en phase d’intégration).

De mon point de vue, la ressource « temps » est la plus fondamentale. En premier lieu, prendre le temps de la réflexion sur sa future étape professionnelle et pouvoir la préparer au mieux (ex : se renseigner, se former) sont deux étapes clés. De même, intégrer un cadre bienveillant qui nous permette de nous acclimater à nos nouvelles fonctions, dans un timing adapté et reconnu par tous (y compris nous), est également idéal. Je conviens, bien évidemment, que la mobilisation de la ressource « temps » est un challenge à part entière !

Ensuite, la ressource « personnes » est également déterminante, à toutes les phases de la transition. Pour clarifier la situation, pour construire le sens, pour confirmer son attrait pour un secteur ou une entité, pour faciliter la recherche d’emploi, pour s’intégrer, etc. Une phase de réflexion qui se nourrit des échanges avec autrui. Ces autres peuvent également être des professionnels de l’accompagnement, via différents dispositifs (bilans de compétences, ateliers professionnels, etc.).
Lors de la prise des fonctions, les échanges avec ses pairs facilitent très directement les processus engagés, que ce soit sur la montée en compétences ou le changement identitaire par exemple.

Enfin, il y a les ressources propres, comme l’expérience acquise lors des précédentes transitions ou nos compétences de carrière :).

Sources

1KADDOURI M., HINAULT A.-C., « Dynamiques identitaires et singularisation des parcours dans les transitions socioprofessionnelles », Sociologies pratiques, 2014, vol. 28, no. 1, p. 15 à 18.

2 PERRET-CLERMONT A.-N. & ZITTOUN T., « Esquisse d’une psychologie de la transition », Éducation permanente, 2002, vol.1, p.12-15

3DUBAR C., La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Éditions Armand Colin, collection U (3e éd), 2000.

4FRAY A.-M. & PICOULEAU S., « Le diagnostic de l’identité professionnelle : une dimension essentielle pour la qualité au travail », Management & Avenir, 2010, vol. 38, no. 8, p. 72-88.

5ALBERT E., BOURNOIS F., DUVAL-HAMEL J., ROJOT J., ROUSSILLON S. & SAINSAULIEU R., Pourquoi j’irais travailler, Éditions Eyrolles, 2003.

Last Updated on 8 février 2023 by Daphnée DI PIRRO