Madeleine a démarré sa carrière au sein d’un grand groupe dans lequel elle a « fait ses armes ». Suite à un déménagement, elle rejoint une start-up. Elle partage, à travers ce témoignage, les différences qu’elles constate entre ces deux univers.
Au commencement, agronomie et marketing
Je suis ingénieure agronome de formation. Ce n’était pas réellement une vocation. En terminale, je suis une très bonne élève mais je n’ai pas trop d’idées pour la suite. Mes parents m’aiguillent vers les classes préparatoires, « voie d’excellence », laissant le plus d’options possibles pour la suite.
Comme j’ai un attrait marqué pour les sciences, et notamment la biologie, je m’oriente vers une prépa bio (BCPST). De plus, le programme de cette classe préparatoire est, à mon sens, le plus équilibré entre toutes les matières (sciences, langues, français, etc.). En effet, je ne veux pas être dans des sections trop ciblées (ex : MPSI).
Les classes préparatoires BCPST ouvrent globalement la voie à deux métiers : ingénieur agronome ou vétérinaire. Dès le départ, je sais que je ne veux pas être vétérinaire. Je serai donc ingénieure agronome. Aussi, l’objectif est d’obtenir une des meilleures écoles en la matière. Ce que je réussis à faire !
Lors de la première année en école, les matières étudiées sont assez similaires à celles vues en prépa (eau, terre, recherche, qualité, élevage des animaux, etc.). Cela me fait paniquer ! Ne souhaitant pas faire cela encore et encore, je choisis la spécialité “Marketing”. Cela me permet de ne pas trop me fermer de portes, en restant la plus généraliste possible.
Un début de carrière structurant dans un grand groupe agroalimentaire
Pour mon stage de fin d’études, je cherche un poste en marketing dans l’agroalimentaire, dans un grand groupe.
Pourquoi ? Parce j’ai la conviction que c’est un moyen d’acquérir des bases solides. Et ceci s’avère vrai ! Je reste 12 ans dans ce grand groupe, et je vis une expérience bénéfique pour le reste de ma carrière.
Un 1er poste de cheffe de produit junior
Je suis embauchée à l’issue de mon stage de fin d’études en tant que cheffe de produit junior, sur une nouvelle catégorie issue d’un rachat. J’appartiens à une entité qui, avec le recul, est comme une sorte de « mini start-up » au sein du groupe, une sorte d’intra-entreprise. Je démarre donc ma carrière dans un environnement où agilité, vitesse et flexibilité sont de mise.
Un 2ème poste sur une autre catégorie de produits
Au bout de 3 ans, j’évolue sur une autre catégorie, toujours en tant que cheffe de produit junior. Parcours assez classique pour une marketeuse !
Sur cette nouvelle catégorie, je développe encore plus mes compétences opérationnelles. J’apprends les grands temps forts d’une année dans le marketing agroalimentaire, les règles du jeu de la grande distribution, etc. Je vis une expérience très structurante pour la suite.
De plus, ce poste me permet de faire le pont avec ma formation initiale d’ingénieure agronome. Je challenge le cahier des charges des agriculteurs, les méthodes de production, la qualité et l’origine des produits utilisés, puis je traduis tous ces éléments en valeur ajoutée et en communication pour les consommateurs.
Une super expérience qui dure 2 ans.
Un 3ème poste senior, sur la marque phare du groupe
Au retour de mon premier congé maternité, je deviens cheffe de produit senior sur la marque phare du groupe.
Je change complètement d’univers : la marque phare, générant le plus de chiffre d’affaires, sur un produit très apprécié des consommateurs et avec un spectre plus stratégique. Par exemple : quelle perspective à 3 ans pour la marque ? Un plan de communication mass media, avec de multiples supports comme la publicité à la télévision, à la radio, etc.
Ce poste est d’autant plus stratégique que mon chef de groupe (N+1) a un background plus commercial. Je porte clairement la responsabilité du champ “Marketing”. Cela me pousse à me développer encore plus. Grâce au background de mon chef, j’acquiers des compétences sur la partie commerciale, que je ne connais pas vraiment.
J’encadre également deux personnes (une chef de produit junior et une stagiaire), avec l’appui de mon chef de groupe. Je n’ai pas le sentiment de manager l’équipe avec toutes les facettes que cela implique (coach, perspectives de carrière, recadrage, etc.). Je la pilote plutôt en « mode projet », en m’appuyant sur l’une de mes principales compétences (orchestrer le travail).
Je quitte ce poste (mais pas le groupe) au bout de 2.5 ans car je suis mon époux à l’étranger. Je suis alors enceinte de mon deuxième enfant.
Un dernier poste en innovation et prospective
A mon retour de l’étranger (1 an après), j’intègre le pôle innovation et prospective du groupe. J’y reste 2 ans.
Je suis cheffe de projet innovation et prospective. Super expérience, stratégique et long-termiste. Très intéressante.
Mon rôle est de faire de la veille sur toutes les tendances prospectives de l’alimentaire, et d’en déduire les impacts pour les marques du groupe de mon portefeuille.
Je deviens la référente (marché, dynamiques, acteurs, vision consommateurs, etc.) sur un beau sujet. Une partie de la production n’est pas utilisée pour la consommation humaine, mais uniquement pour la consommation animale. L’enjeu est de rendre cette partie, très riche en protéines végétales, consommable pour les humains. Donc réduire la consommation de viande, lutter contre le gaspillage et le réchauffement climatique.
Et c’est sur ce sujet que je continue de travailler dans ma start-up.
En synthèse, une belle expérience, formatrice et utile pour la suite
Mon expérience dans ce grand groupe a été très formatrice, et m’a permis d’acquérir des bases très solides pour la suite. J’ai évolué tous les 2 ou 3 ans sur des postes de plus en plus stratégiques, qui m’ont beaucoup appris. Je prends tout ceci comme un cadeau.
Cependant, je dois reconnaître qu’à chaque fois que je suis partie en congé maternité, j’étais dans une dynamique de questionnement. En effet, j’avais un questionnement de fond sur mon utilité et ma contribution dans ce groupe, et plus largement, dans la société.
Mon dernier poste et mon travail sur ce sujet clé de protéines végétales ont quand même été un déclic pour moi : j’avais alors l’impression de contribuer de manière plus significative à des problématiques sociétales et environnementales.
Un déménagement en province à l’origine de l’aventure start-upeuse
Je quitte ce grand groupe car mon mari a une opportunité professionnelle en province. Je suis alors enceinte de mon troisième enfant. Je vois ce déménagement comme une opportunité de faire une pause, de prendre le temps de réfléchir sur la suite de ma carrière.
Il s’avère que, 3 mois après la naissance de mon dernier enfant, je rencontre celui qui va devenir mon directeur général. Cette rencontre a lieu grâce à mon réseau.
Mon futur DG a la mission de créer une start-up sur mon sujet de prédilection : la protéine végétale. Il est formé sur la technologie qui va permettre de créer le produit végétal ciblé.
Dans un premier temps, je démarre par un CDD de 6 mois, en tant que directrice marketing. Cette perspective me convient parfaitement, et ceci pour plusieurs raisons :
- D’abord, cela ne m’engage que pour 6 mois et peut me permettre de continuer à réfléchir à la suite.
- Puis, je suis quand même terrifiée par l’idée de devoir rechercher un travail, après 12 années passées dans un grand groupe.
- La dernière case cochée est bien évidemment le projet porté par la start-up.
Au démarrage de la start-up, tout sauf du marketing !
J’arrive 15 jours après la création officielle de la start-up. A ce moment-là, nous sommes 2 : le DG et moi.
Bien qu’embauchée en tant que directrice marketing, je passe les premiers mois à faire des missions de bras droit ! J’ai ainsi contribué à recruter l’équipe R&D, à trouver des locaux, à obtenir les équipements idoines, etc. Rien à voir avec le marketing !
Deux mois après le démarrage de l’activité, mon DG me propose un CDI, que j’accepte.
Puis, tout un concept à créer
Ma mission démarre réellement avec la formalisation du concept. A quoi sert ce projet ? Pourquoi ? Etc.
En posant ces fondamentaux, je vis une partie de l’expérience “créateur d’entreprise”. Partir de la feuille blanche et se raconter. En tant que marque employeur, en tant que marque auprès des consommateurs. Comment rendre ce produit accessible ?
Mettre les mots sur tout cela est assez magique. Cela me fait encore plus prendre conscience que je ne suis pas là par hasard. Que ce projet n’est pas “pipeau” et qu’il a une véritable vocation.
Puis, nous nous développons. Aujourd’hui, nous sommes mieux structurés. Mon activité est désormais principalement dédiée au marketing, comme cela était prévu au départ !
Que retirer de ces expériences dans des environnements très différents ?
Travailler dans une start-up, c’est accepter d’évoluer dans un environnement incertain (au moins au début)
Tant que la start-up n’est pas consolidée, il y a quand même l’épée de Damoclès au-dessus de nous. Dans mon cas, pendant les 2 premières années, nous n’avions pas de visibilité à plus de 6 mois. Tu es aussi dépendant des levées de fonds.
A l’inverse, un grand groupe est capable d’absorber des années moins performantes.
Agilité, flexibilité et liberté, dans un univers qui reste exigeant
Très clairement, l’un des avantages de la start-up par rapport à un grand groupe est la liberté de construire. De faire ce que l’on veut, quand on veut. Je pondérerai quand même ce constat par un point : lorsque les levées de fonds sont importantes, les attentes des actionnaires sont nécessairement élevées. Aussi, cet environnement exigeant peut limiter cette liberté.
Ensuite, il y a l’agilité décisionnelle. Dans mon ancienne entreprise, il y avait une certaine lourdeur dans les process de décisions. Par exemple, nous avions un process de validation par de multiples tests consommateurs en amont, avant de déployer réellement le concept sur le terrain. Là, dans ma start-up, nous faisons plutôt un mix de tests théoriques et de tests opérationnels.
Une responsabilité réelle et formatrice, parfois effrayante
Quand on travaille dans une start-up, on est responsable de ses actions au quotidien. Il n’y a pas de back-up (erreurs, absences, etc.) comme dans un grand groupe. C’est extrêmement stimulant. Mais parfois effrayant!
Par exemple, la première année, j’ai construit le business plan, j’ai conduit les études de marché. Et j’étais pleinement responsable de cela, sans équipe pour collaborer et valider mes propositions. J’étais simplement challengée lors des conseils d’administration, ce qui est bien différent des apports d’un travail en équipe !
Avancer en construisant le cadre, ce n’est pas toujours simple, mais c’est très formateur
Je n’avais pas mesuré le champ d’action que recouvrait la création d’une entreprise. Pourtant, j’avais été formée en école, à avoir une vision 360. De plus, mon expérience en marketing m’obligeait à interagir avec de nombreuses fonctions de l’entreprise. Donc, je ne partais pas de 0.
Cependant, au démarrage, toutes les fonctions (DAF, RH, etc.) ne sont pas présentes. Il faut donc composer en attendant, en faisant preuve de polyvalence. Par exemple, j’ai passé ma première semaine à trouver des bureaux et à acheter du matériel !
L’expérience de mon DG, habitué à la création d’entreprise, a été salvatrice. Pour les autres missions à relever, j’avoue que j’ai pu y faire face grâce à mon expérience dans une grande entreprise. J’avais pu acquérir des réflexes et de la rigueur aidantes. Je me demande si cela aurait été aussi simple si j’avais démarré ma carrière dans une start-up, sans mon background dans un grand groupe.
En tout cas, j’ai mobilisé de nombreuses compétences et en ai développé de nouvelles. Bien que stressant, c’est aussi challengeant et hyper formateur.
Et quand le cadre finit par être posé…
C’est toute l’ambiguïté que je vis aujourd’hui. J’ai parfois souffert de la polyvalence qui était attendue. Mais alors que la start-up est désormais développée et structurée, et que la polyvalence est moindre, cela est déstabilisant. En effet, on finit par aimer avoir une zone de responsabilité un peu large !
Aussi, je m’interroge sur le passage d’une start-up à un grand groupe. A la fois pour quelqu’un qui n’a connu que les start-up, et pour quelqu’un, qui comme moi, a vécu une telle expérience. Dans ces cas, je pense que l’intégration / le retour dans une entreprise mature et processée peut être source de déconvenues ou de désillusions.
Un équilibre de vie fragile
Même si je suis fière du travail accompli et de l’expérience acquise, travailler dans cette start-up a nécessité, pour moi, un investissement très important, voire excessif pendant ces dernières années.
Le volume horaire était très important, et cela a bouleversé mon équilibre de vie.
Les forces comme drivers du management
Ce point est peut-être un peu plus spécifique à ma start-up.
Pour consolider le concept, nous avons enchaîné tous les 6 mois des changements de phases (proof of concept, mise en production, etc.). Les besoins en compétences étant différents selon les phases, ce n’est pas toujours évident de trouver sa place.
Or, j’ai la chance d’évoluer dans une start-up dirigé par un DG habitué à développer ce type de structures. Aussi, à chaque phase, il a eu la clairvoyance de mobiliser les bonnes ressources humaines au bon endroit, au bon moment, selon les compétences de chacun.
Quand je travaillais dans le grand groupe, j’étais plutôt drivée par mes points d’amélioration. Là, je le suis par mes points de force. C’est une autre façon de manager et c’est intéressant.
Last Updated on 8 février 2023 by Daphnée DI PIRRO