Hacker sa vie professionnelle – L’estime de soi : la comprendre pour la renforcer / Épisode 2

Démarrons ce nouvel article par LA question à laquelle je n’ai pas répondu dans le précédent : pourquoi est-il si important de renforcer ou de maintenir l’estime de soi ?
Leary et al. (1995, p.518)1 partagent l’explication la plus observée par la recherche : avoir une bonne estime de soi nous protège des émotions négatives (comme le stress ou l’anxiété) et facilite l’accès aux émotions positives.
En outre, plus notre estime de soi est haute, plus nous savons nous adapter et persister dans l’effort.

Intéressant non ?

Dans le premier épisode, je vous ai présenté l’approche intrapersonnelle. Elle considère l’estime de soi comme la résultante d’un ratio entre ce que nous sommes (soi perçu) et ce que nous aimerions être (soi idéal). Pour accroître notre estime de soi, nous pouvons, par exemple, mieux nous approprier nos succès ou réajuster nos idéaux.

Dans cette approche, cela se joue entre nous et nous.
Dès lors, une question vous brûle certainement les lèvres : l’estime de soi (ne) dépend-elle (que) de nous ?

Pour y répondre, deux options : vous pencher 4 heures sur le sujet ou lire la suite de cet article. En effet, je vais vous parler de l’approche évolutionniste. Et petit spoiler : il semblerait que notre estime de soi soit plus perméable aux réactions des autres qu’à notre façon de nous évaluer !

1/ Quel est le lien entre les autres et notre estime de soi ?


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A. Moi ou les autres ?

Reprenons les leviers identifiés dans le premier article.

Réajuster nos idéaux. Cela consister à requestionner notre envie de performer dans certains domaines.
Pourquoi ces derniers sont-ils importants pour nous ? Comment le sont-ils devenus ? Pourquoi nous efforçons-nous d’exceller dans ces domaines-là ?
Une des réponses très probables est celle-ci : parce que ce sont des domaines valorisés par les autres (cercles proches, société). Y exceller garantit l’approbation des autres, qui vient nourrir notre estime de soi.
De fait, requestionner nos idéaux peut revêtir une forte dimension émotionnelle : cela suppose un risque de rejet par autrui (réel ou imaginé).

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Mieux nous approprier nos succès. Lorsque nous évaluons nos succès et nos échecs, est-ce vraiment notre regard ? Ou celui de personnes significatives pour nous ?
Au cours de l’enfance et de l’adolescence, plusieurs facteurs affectent positivement et négativement la construction de l’estime de soi (Cannard, 2019, chapitre 7, p. 219)2. Parmi eux, l’opinion d’une personne déterminante. En effet, nous octroyons beaucoup d’importance aux jugements de personnes significatives pour nous (ex : parents, amis, enseignants). Aussi, nous restons marqués durablement par leurs réactions et leurs propos.
A ce titre, ces personnes déterminantes peuvent affecter nos auto-évaluations, comme le démontre l’étude conduite par Baldwin & Holmes (1987)3.

Baldwin & Holmes ont exposé 60 étudiants à une expérience d'échec. 
Puis, ils ont observé l'évaluation que ces derniers en faisaient, dans différentes situations. 

Les étudiants du premier groupe devaient évaluer cet échec, en se visualisant seuls, marchant dans un endroit neutre. 
Le second groupe, lui, devait se visualiser en train de déjeuner avec un ami à l'amour inconditionnel. 
Enfin, le dernier groupe devait se visualiser auprès de personnes qui les aimaient, mais pour qui la réussite était aussi un vecteur important d'acceptation/d'amour de l'autre.

Les chercheurs ont ensuite mesuré les impacts sur différents paramètres (estime de soi, humeur, attribution externe ou interne des causes de l'échec, tendance à généraliser la valeur qu'ils se donnaient à partir de cet échec). 
Conclusion ? Les étudiants du 3ème groupe ont manifesté des réactions négatives plus fortes que celles des deux autres groupes ! En visualisant des personnes importantes pour eux, aimantes, mais à l'acceptation conditionnée par la réussite, ces étudiants ont été négativement affectés. 

B. L’importance du feedback social dans nos vies

Pourquoi sommes-nous si sensibles à ce que pensent les autres ?

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La psychologie évolutionniste, basée sur les théories biologiques évolutionnistes, nous apporte des éléments de réponse.

En résumé, nous avons développé des mécanismes cognitifs qui ont permis, dans le temps, notre survie et notre reproduction.
Les psychologues évolutionnistes supposent que nos ancêtres très lointains sont ceux qui ont fait le choix de vivre avec les autres, d’éviter toute situation de rejet, d’exclusion et d’isolement. Il n’était pas bon, à la préhistoire, de rester seul(e) dans une grotte, sans protection ni moyen de subsistance (cela reste vrai aujourd’hui :)).

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Ainsi, les premiers hommes auraient très vite compris la nécessité d’appartenir durablement à un groupe. Ils auraient également développé une aversion au rejet et à l’abandon. Pour limiter ces risques, ils auraient acquis un système de détection de menaces en la matière. Cet ensemble régulateur s’appelle un sociomètre. Ce système psychologique permet d’évaluer les situations et d’ajuster ainsi nos comportements, afin de renforcer notre acceptation par les autres et d’éviter leur rejet.

Dans l’approche évolutionniste de l’estime de soi, développée par Leary et al.1, notre estime de soi est considérée comme un sociomètre. Je vous explique ceci dans le détail !

2/ L’estime de soi : combien tu m’aimes ?


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A. L’estime de soi : un sociomètre

Le système d’estime de soi d’un individu enregistre le degré selon lequel les autres considèrent leurs relations avec lui comme importantes ou étroites et les indices qui signalent la possibilité d’une exclusion sociale.Famose & Bertsch (2009, chapitre 4, p. 79)4

Selon cette théorie, notre estime de soi est un indicateur de notre niveau d’acceptation par les autres. Plus nous nous sentons acceptés par les autres, plus ils manifestent des marques d’approbation ou d’acceptation, plus notre estime de soi est haute.
Si notre estime de soi est affaiblie, c’est parce que nous percevons un risque ou une situation d’exclusion ou de rejet social.
Pour minimiser ce risque ou nous sentir mieux inclus, nous allons nous engager dans des comportements régulateurs visant à restaurer un niveau d’acceptation sociale plus convenable.

B. A quelles occasions nous sentons-nous exclus ?

Coralie et Sandrine, les sœurs de Michel, travaillent dans l'immobilier, comme leurs parents. Elles ont repris l'activité familiale. Sans connaître un succès hors norme, elles réussissent très bien leurs vies professionnelles, et se sentent épanouies. 
Michel, lui, est sculpteur. Il expose de temps en temps ses œuvres et a ouvert une école de sculpture. Michel est heureux. Même si les fins de mois sont inégales, il est autonome et subvient parfaitement à ses besoins. 
Pour ses parents, la sculpture n'est pas un métier. Cela ne devrait être qu'une activité extraprofessionnelle. Ils n'ont jamais compris ce choix. Ils n'ont jamais compris pourquoi Michel n'avait pas pris la suite de leur entreprise avec ses sœurs. 
Ainsi, même si Michel réussit dans son domaine, il le fait dans un domaine qui n'est pas valorisé par sa famille. Souvent, il perçoit leurs attitudes distanciées vis-à-vis de sa vie professionnelle. Et même vis-à-vis de lui.
Alors, parfois, Michel se sent exclu par les siens.  

Le cas de Michel, un peu caricatural, j’en conviens, illustre un type d’évènements qui menace l’estime de soi : ceux qui nous font sentir « socialement indésirables ». Il y a aussi ceux qui altèrent notre compétence, notre apparence, ou notre sens des responsabilités. Dans la croyance collective, les personnes touchées par ces évènements ne méritent pas que les autres s’engagent durablement dans une relation avec elles.

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Le sentiment de rejet va au-delà de la simple dichotomie : échec / succès. Si je réussis, mais que ma réussite engendre de la désapprobation d’autrui (comme pour Michel), cela peut affecter mon estime de soi. Si j’échoue, mais que les autres manifestent des réactions plutôt positives par rapport à cet évènement, mon estime de soi sera préservée, voire renforcée.

Enfin, fait très intéressant : lorsque notre estime de soi est globalement faible, nous avons tendance à croire que les autres ne nous accepteront que si nous nous montrons performants5.

3. Comment fonctionne le système « estime de soi » ?


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Selon la théorie du sociomètre, notre système « estime de soi » fonctionne comme un système régulateur, à savoir :

  • Nous détectons des indices, grâce auxquels nous estimons la valeur relationnelle que nous avons avec autrui.
  • Cette évaluation suscite des émotions positives ou négatives selon les indices détectés.
  • Ces émotions vont motiver des comportements, pour renforcer l’inclusion perçue ou limiter le risque d’exclusion détecté.

A. Valeur relationnelle : suis-je inclus(e) ou exclu(e) ?

Un continuum d’acceptation sociale

A quel point sommes-nous acceptés par les autres ? Ici encore, pas de dichotomie : accepté / rejeté.
Leary (1990)6 propose un modèle en 7 paliers : de l’exclusion maximale à l’inclusion maximale.

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Famose &Bertsch (2009, chapitre 4, tableau 1, p. 78, d’après Leary (1990)6)4

Nous évaluons la valeur relationnelle à partir d’indices verbaux (ex : louange / critique) et non verbaux (ex : un regard aimant / une distance physique). Cette évaluation se déroule soit à un instant T, soit dans la durée.

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Notons que cela reste de la perception, et donc une évaluation subjective, empreinte de nos histoires personnelles. De la sorte, nous n’avons pas tous les mêmes seuils de référence. Certains vont se sentir rejetés alors qu’ils sont dans une situation réelle d’inclusion passive (palier 3), et d’autres vivront ce rejet en phase d’exclusion active (palier 6).

Quand notre sociomètre est déréglé

Nous sommes d’autant plus sensibles à nos relations que nous avons une faible estime de soi. Nous restons particulièrement vigilants aux indices d’exclusion, car nous ne nous sentons jamais totalement acceptés, .

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Dans des cas extrêmes, quand notre sociomètre est déréglé, nous pouvons interpréter certains indices comme des menaces, alors qu’ils sont anodins pour la majorité des autres personnes.
Si nous sommes notablement perméables au rejet ou à l’abandon, nous avons tendance à voir des signes de rejet et d’abandon qui n’existent pas vraiment.
De la même manière, si nous avons une estime de soi très élevée, nous aurons tendance à surévaluer nos relations aux autres, et à faire fi des menaces réelles.

B. Après l’évaluation, les émotions

Selon la valeur relationnelle que nous percevons, nous allons ressentir des émotions positives ou négatives. Lorsque nous nous sentons exclus, nous sommes confrontés à des émotions telles que la tristesse, l’anxiété, la gêne, la honte ou la culpabilité. Nous pouvons nous sentir incompétents, inadaptés, limités, etc.

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Les émotions vont susciter des comportements régulateurs. Et ceci d’autant plus que nous percevons un risque de rejet. En effet, Famose et Bertsch4 expliquent que notre système cognitif est plus réceptif aux émotions négatives. Nous les vivons avec une intensité plus forte que les émotions positives, surtout si notre estime de soi est faible.

C. Les comportements régulateurs ou anticipateurs

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A ce stade, le système d’estime de soi a détecté des indices lui permettant d’estimer la valeur relationnelle. Puis, cela a suscité des émotions : positives en cas d’acceptation, négatives en cas de risque de rejet.
Désormais, nous allons adopter des comportements régulateurs visant à maintenir ou rétablir un niveau d’acceptation sociale.
Gardons en tête que nous pouvons aussi adopter des comportement anticipateurs pour nous protéger d’un possible rejet.

Concrètement, comment nous y prenons-nous ? Plusieurs études ont mis en évidence que pour nous sentir approuvés par autrui, nous nous efforçons de travailler notre image. Cela s’appelle la présentation de soi.

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Nos stratégies préventives

Comme évoqué dans le premier article, nous nous inventons ou nous créons des obstacles, transformés en excuses « toutes trouvées » en cas d’échec. Il existe deux autres stratégies préventives qui vont vous parler : décréter des prophéties obscures quant à nos chances de réussite ou se déclarer « imposteur ». Elles sont plus ou moins conscientes.

Dans le premier cas, nous allons proclamer « c’est sûr, je ne vais pas réussir« . Et donc : « si je rate, je l’avais bien dit« , « si je réussis, cela est incroyable, et intensifie la performance réalisée« . Cela s’appelle du pessimisme défensif !

Dans le second cas, nous essayons de convaincre les autres que nous ne sommes pas légitimes pour réussir, car nous ne sommes pas aussi compétents qu’ils le croient. Nous sommes des imposteurs !

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Nos stratégies varient selon notre estime de soi

Lorsque nous voulons nous présenter sous notre meilleur jour, les stratégies employées dépendent en réalité de notre estime de soi7. Pour Tice & Baumeister (1990)8, nous utilisons des stratégies de valorisation de soi si nous avons une haute estime de soi, et des stratégies protectricesdans le cas contraire.

  • Si j’ai une haute estime de soi, je suis sûr(e) de mes compétences et de mes chances de réussite. Je m’attribue donc volontiers les succès. En cas d’échec, je vais avoir tendance à faire appel à des causes externes pour l’expliquer.
    Je peux éventuellement avoir recours à des stratégies préventives comme l’auto-handicap si je caresse l’espoir de rendre ma victoire encore plus belle !
  • Si j’ai une faible estime de soi, je doute de mes compétences. Aussi, quand je suis confronté(e) à un échec, je l’explique plutôt par des causes internes. J’ai également recours à des stratégies préventives, mais dans une optique différente de ceux qui ont une haute estime de soi. Je le fais pour me protéger en cas d’échec, et non pour rendre mon succès « incroyable ». Il est possible que je sois effrayé(e) par le succès, car cela signifierait qu’on attende de moi d’aller encore plus loin.
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La faible estime de soi : le serpent qui se mord la queue

Famose & Bertsch4 rappellent qu’une série d’études ont prouvé que notre estime de soi est impactée par la façon que nous avons de nous présenter aux autres.
En effet, plus nous nous présentons de façon positive, plus notre estime de soi se renforce car cela donne envie aux autres de nous approuver, de nous accepter.
A l’inverse, quand nous utilisons sans cesse des stratégies protectrices, en raison notamment de notre faible estime de soi, nous ne laissons pas aux autres une image très favorable ou particulièrement positive.
Ainsi, les autres ne vont pas forcément manifester des signaux d’approbation ou d’acceptation aussi forts que nous voudrions. Nous pouvons même supposer qu’ils n’ont pas forcément envie de s’engager durablement dans une relation avec nous. Sans surprise, notre estime de soi reste faible.

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Alors, pourquoi ne pas essayer d’employer, de temps en temps, des stratégies de valorisation de soi, et de laisser au garage les parades préventives 🙂 ?

Sources

1Leary M. R., Tambor E. S., Terdal S. K. & Downs D. L., « Self-Esteem as an Interpersonal Monitor: The Sociometer Hypothesis », Journal of Personality and Social Psychology, 1995, Vol.68, n°3, p. 518-530

2Cannard Christine, Le développement de l’adolescent. L’adolescent à la recherche de son identité, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, « Ouvertures Psy – LMD », 2019, p. 191-232

3Baldwin, M. W. & Holmes J. G., « Salient private audiences and awareness of the self », Journal of Personality and Social Psychology, 1987, Vol. 52, n°6, p. 1087–1098

4Famose J.-P. & Bertsch J., L’estime de soi : une controverse éducative, Presses Universitaires de France, 2009

5Baldwin M. W. & Sinclair L., « Self-esteem and « if…then » contingencies of interpersonal acceptance », Journal of Personality and Social Psychology, 1996, Vol. 71, n°6, p. 1130–1141

6Leary M. R., « Responses to social exclusion. Social anxiety, jealousy, loneliness, depression, and low self-esteem », Journal of Social and Clinical Psychology, 1990, 9, p. 221-229

7Baumeister R. F., « The optimal margin of illusion », Journal of Social and Clinical Psychology, 1989, 8, p. 176-189

8Tice D. M. & Baumeister R. F., « Self-esteem, self-handicapping motives and self-presentation : The strategy of inadequate practice », Journal of Personality, 58, p. 443-464

Last Updated on 13 mai 2024 by Daphnée DI PIRRO