Il est fort probable, qu’au cours de votre carrière, vous ayez des choix à faire.
- Dois-je accepter cette opportunité interne ?
- Dois-je accepter cette opportunité externe alors que je ne suis pas insatisfait(e) de ma situation actuelle ?
- Dois-je quitter un travail qui ne m’épanouit plus mais qui présente quand même des avantages (rémunération satisfaisante, confort, organisation familiale rodée, etc.) ?
- Dois-je me réorienter ?
- Est-ce que je me lance dans ce projet d’entrepreneuriat ?
- Etc.
Comment aider celles et ceux que j’accompagne dans leur prise de décision ? C’est une question qui m’anime profondément, car je pense qu’une (grande) partie de la valeur ajoutée d’un consultant se trouve là.
« Écoutez votre cœur » est certes nécessaire, mais reste, à mon sens, insuffisant.
J’ai donc décidé d’explorer la littérature sur le sujet de la prise de décision. Au fil de mes recherches, je suis tombée sur l’ouvrage Comment faire de bons choix1 de Chip & Dan Heath (ils sont frères si vous vous posez la question :)).
Tout d’abord, de quel type de choix/décision s’agit-il ? Des choix complexes, comme ceux que font les organisations en matière de stratégie par exemple, ou les choix de carrière. En d’autres termes, il ne s’agit pas de renforcer notre capacité à choisir parmi les 37 parfums de glaces chez le glacier !
Par ailleurs, les auteurs sont clairs : même avec le processus qu’ils proposent, nous continuerons de prendre de mauvaises décisions ! Cependant, en l’intégrant comme une routine, nous augmentons la probabilité de rendre nos décisions meilleures. Ou de limiter les erreurs.
Ce processus est un appui certain lorsque nous aidons nos proches dans leur prise de décision. Ou que nous prenons des décisions dans notre organisation.
Pour ma part, il va nourrir grandement ma pratique.
J’ai décidé, pour mes prochaines publications, de vous présenter quelques idées clés du livre, appliquées exclusivement au cas de la carrière. Je commence par vous présenter les 4 pièges de la prise de décision. Nous explorerons ensuite, dans d’autres articles, les outils à mettre en œuvre pour les contourner.
Nota : je vous invite à lire le livre, riche d’exemples, notamment sur les processus décisionnels suivis par des entreprises. Amusant et très instructif !
Préalable – « Ce qu’on voit et rien d’autre »
A. Un petit exercice pour commencer
Thelma a 32 ans. Elle est ingénieure, et travaille dans un grand groupe industriel. Elle adore son métier et le secteur dans lequel elle travaille. Cependant, elle ne se sent pas reconnue à la hauteur de l’investissement qu’elle fournit. Elle a demandé plusieurs augmentations qui lui ont été refusées. Son manager ne la soutient pas comme elle le voudrait dans les projets qu’elle porte.
Un jour, un chasseur de tête l’appelle pour lui proposer un poste similaire dans un autre groupe industriel. Le poste est plus près de chez elle, le salaire est nettement meilleur et le sujet l’intéresse.
Selon vous, doit-elle accepter cette proposition ? Que lui conseilleriez-vous de faire ?
B. Apprendre à regarder dans l’ombre
En s’appuyant sur un exemple analogue, Chip et Dan Heath mettent en évidence que nous avons tendance à nous forger rapidement une première opinion, uniquement sur la base de quelques informations.
Or, nous sommes loin d’avoir toutes les informations utiles à la prise de décision : est-on sûr que le manque de reconnaissance ressenti par Thelma est simplement lié à son salaire ? De même, est-elle spécifiquement intéressée par le fait de se rapprocher de chez elle ? Le sujet du nouveau poste l’intéresse, mais l’adore-t-elle autant que celui sur lequel elle travaille ? Qu’est-ce qui est le plus important pour elle in fine ? Etc.
« Ce qu’on voit et rien d’autre » : c’est le nom que donne Daniel Kahneman (psychologue et prix Nobel d’économie) à cette tendance. Chip et Dan Heath la nomment « effet projecteur ». Nous pouvons avoir tendance à regarder uniquement là où est la lumière et nous ne faisons pas l’effort de regarder dans l’ombre.
De plus, nos décisions sont assujetties à nos biais, à notre irrationalité et à notre instinct, qui bien qu’utile, peut parfois nous jouer des tours.
Alors comment faire mieux ? Selon les auteurs, en suivant un processus qui permet de contourner les 4 pièges de la prise de décision. Quels sont-ils ?
1/ Piège n°1 – Le cadrage serré (ou le choix binaire)
La façon dont j’ai formulé les questions en introduction (Dois-je…) constitue le premier piège, à savoir le cadrage serré.
Il s’agit de la disposition que nous avons à envisager nos décisions comme des choix binaires. Dois-je faire ceci OU cela ? Or, il pourrait être pertinent, parfois, de se demander si je peux faire ceci ET cela ? Ou bien faire ceci OU cela Ou encore autre chose ?
En matière de carrière, cela s’illustre souvent dans le cas des personnes qui envisagent de « tout quitter » pour lancer une activité entrepreneuriale. Rester dans ce que je fais OU tenter l’aventure. Or, d’autres options pourraient être envisagées, comme celles qui permettent une mise en place progressive. A titre d’exemple, est-il possible d’aménager son temps de travail pour tester/lancer cette nouvelle activité ? En négociant un temps partiel par exemple (si financièrement viable) ?
Pour démontrer cette inclination à n’envisager qu’une seule option, Chip & Dan Heath recense les résultats d’une étude conduite par Paul C. Nutt2 sur 168 décisions organisationnelles. Ce dernier a constaté que 71 % des équipes avaient envisagé une seule option. Or, il constate également que, sur une longue période, 52% des décisions « mono option » échouaient, contre 32% des décisions « multi options ».
Nutt l’explique simplement : quand nous n’étudions qu’une option, nous sommes focalisés sur les moyens à mettre en œuvre pour que ce soit la bonne décision. En portant notre regard (projecteur) sur cela, nous oublions qu’il peut y avoir d’autres pistes possibles.
2/ Piège n°2 – Le biais de confirmation
Dans la vie, nous avons l’habitude de nous faire rapidement une idée d’une situation, puis de rechercher des informations qui renforcent cette idée.
Chip & Dan Heath1, p.21
Pour argumenter ce postulat, les auteurs font référence à une méta analyse conduite par William Hart & al.3. Cette dernière porte sur une centaine d’études (8 000 individus concernés). Résultat : les individus sont 2 fois plus disposés à favoriser les informations de confirmation plutôt que d’information. Cette disposition se renforce au fur et à mesure que l’individu passe du temps à étudier le sujet.
Ce piège limite donc la pertinence d’une approche Pour/Contre. Vous le devinez aisément : si l’option nous plaît déjà, la liste des pour risque d’être importante. De même, si l’option nous déplaît, nous serons en mesure de trouver bons nombres d’arguments pour l’éliminer.
En matière de carrière, cela peut se traduire par le fait de vouloir confirmer son projet professionnel auprès de professionnels qui ont réussi et qui sont satisfaits de leur situation. Or, échanger avec des personnes qui ont eu une mauvaise expérience en la matière est tout aussi essentiel (Et réciproquement !).
Autre exemple : si une opportunité s’offre à nous, alors que nous ne sommes vraiment plus du tout épanouis dans notre travail, nous allons avoir tendance à chercher tous les arguments possibles pour pouvoir dire « oui » et « nous sauver » de cette situation désagréable.
3/ Piège n°3 – Les émotions immédiates
Ou nier le fait que la nuit porte conseil !
Quand il nous faut prendre une décision difficile, nos sentiments bouillonnent. Nous réintégrons mentalement les mêmes débats. Nous déplorons les circonstances. Nous changeons d’idée d’un jour à l’autre. Si nos décisions étaient représentées sur une feuille de calcul, pas un chiffre ne bougerait (…) mais notre esprit ne le ressent pas ainsi. Nous avons soulevé tant de poussière que nous ne voyons pas le chemin à suivre. Dans ces moments-là, ce qui nous manque le plus est de pouvoir prendre de la hauteur.
Chip & Dan Heath1, p.27
A ce sujet, les auteurs sont clairs : il est essentiel d’écouter ses émotions. Cependant, elles ne doivent pas être l’unique moteur de nos prises de décision.
Un exemple assez courant en matière de carrière : devoir choisir entre une situation professionnelle non épanouissante, voire critique, mais confortable (organisation rodée, salaire confortable) et une situation qui nous correspond mieux mais qui implique des « sacrifices » (par exemple, une perte de salaire). La peur nous habite, et contribue à freiner la prise de décision.
Pour dépasser ces émotions, il est important d’opter pour une forme temporaire de détachement. « Que feraient les autres à ma place ? », « Que dirais-je à mon meilleur ami s’il était à ma place ? ».
4/ Piège n°4 – L’excès de confiance
Nous avons trop confiance dans nos propres prédictions.
Chip & Dan Heath1, p.29
Les auteurs nous invitent à plus d’humilité vis-à-vis de nos capacités à prédire l’avenir. Nous ne savons pas exactement de quoi l’avenir sera fait. Nos prédictions peuvent s’avérer exactes ou fausses.
« Cela ne peut pas marcher. », « Cela va être une totale réussite », « Il est évident que je ne peux pas occuper de telles fonctions, je vais me planter. », « Si je parviens à avoir ce poste, je vais avoir la carrière que je désire. », etc.
Chip & Dan Heath l’expliquent par le fait que nos prédictions sont ciblées, et ne s’inscrivent pas dans un panel plus large de scénarios. Nous « ne délimitons pas l’avenir », qui est en réalité compris entre deux bornes : un scénario pessimiste et un scénario optimiste.
Pour dépasser ce piège, il s’agit de se préparer à avoir tort (dans un sens comme dans l’autre) ! Je vous en parlerai plus en détail lors d’un prochain article.
5/ En synthèse, quel impact de ces pièges sur le processus décisionnel classique ?
Sources
1 Heath C. & D., Comment faire les bons choix, Éditions Flammarion-Champs, 2017
2 Nutt P.C., « Expanding the Search for Alternatives During Strategic Decision-Making », Academy of Management Executive, 2004 (18), p.13-28
3 Hart W., Albarracín D., Eagly A.H., Brechan I., Lindberg M. J., and Merrill L., « Feeling Validated Versus Being Correct : a meta-analysis of Selected Exposure to Information », Psychological Bulletin, 2009 (135), p. 555-558
Last Updated on 8 février 2023 by Daphnée DI PIRRO