Prise de décision – Comment évaluer au mieux vos options ?

Vous avez désormais élargi vos options, et êtes sorti(e) du cadrage serré. Vous avez au moins 2 options distinctes à étudier, si ce n’est plus.

Comment les évaluer sans tomber dans le piège n°2, celui du biais de confirmation ?

Dans la vie, nous avons l’habitude de nous faire rapidement une idée d’une situation, puis de rechercher des informations qui renforcent cette idée. 

Chip & Dan Heath1, p.21

Comme je vous l’expliquais dans l’article “Les 4 pièges de la prise de décision” , nous sommes 2 fois plus disposé(e)s à favoriser les informations de confirmation plutôt que d’information2.

Si nous voulons optimiser nos chances de prendre la meilleure décision possible, il est donc important d’avoir conscience de ce biais et de mettre en place des leviers adaptés pour y échapper.
Nous devons nous efforcer d’étudier toutes les options avec le même entrain et de façon la plus clinique possible.

Cela ne signifie pas que, pour l’option de cœur, nous devons uniquement rechercher des éléments tendant à l’éliminer. Il s’agit de s’efforcer à trouver des informations factuelles, contradictoires ou non, afin de conduire une analyse (et donc un choix) en toute connaissance de cause. Et il en va de même pour les autres options.

1/ Orgueil et décisions : le cas des PDG


Pourquoi les PDG s’obstinent-ils à effectuer de coûteuses acquisitions qui sont rarement rentabilisées ?

Chip & Dan Heath1, p.118

Pour démarrer cet article, je vous partage les résultats d’une étude conduite par Mathew Hayward et Donald Hambrick3 tentant de répondre à cette question.

Ces deux professeurs d’écoles de commerce ont émis l’hypothèse que l’orgueil des PDG les poussent à cela. Pour la vérifier, ils ont analysé les acquisitions supérieures à 100 millions de dollars, réalisées en Bourse sur une période de 2 ans. 106 acquisitions étudiées au total.

Puis, ils ont cherché à savoir si ces acquisitions avaient pu être influencées par 3 facteurs tendant à renforcer l’ego :

Éloges de la presse

Résultats récents plutôt bons

Sentiment d’importance personnelle

Nota : le sentiment d’importance personnelle est un facteur que les chercheurs ont évalué en mesurant l’écart entre le salaire du/de la PDG et celui de la deuxième personne la mieux payée (si 4x mieux payé(e) : haute opinion).

Résultats ? Plus ces 3 facteurs sont forts, plus les coûts d’acquisitions le sont !
A titre d’exemple, un article élogieux sur le/la PDG publié dans un grand organe de presse correspond à une augmentation du coût d’acquisition de 4.8 %.

Par ailleurs, leur étude présente un résultat très instructif. Les coûts d’acquisition sont plus modérés dès lors que les PDG sont entouré(e)s de personnes challengeant leurs projets d’acquisition, de façon constructive.

Ce dernier résultat nous donne à voir un pan de la réponse à la question posée dans cet article : challengez vos options, recherchez le désaccord !

2/ Pour nos décisions de carrière, quels sont les 3 principaux risques associés au biais de confirmation ?


Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous avons généralement une option préférée. Pourtant, si nous ne prenons pas la peine de dépasser le piège du biais de confirmation, nous prenons à mon sens 3 risques.

Le premier est assez évident : être finalement déçu(e) s’il existe des écarts significatifs entre la représentation que nous avions du métier, du secteur, de l’entreprise, etc. et la réalité vécue. Au-delà de la déception, cela peut engendrer une situation de souffrance.

Le second risque est dans la continuité du premier : il s’agit de ne pas se donner les moyens d’anticiper des situations qui, connues, peuvent être évitées ou traversées avec des dommages limités.
Dépasser le biais de confirmation, c’est donc obtenir un aperçu réaliste du travail.

(…) il a été prouvé que les aperçues réalistes du travail réduisent la rotation des effectifs (…) ils aident tous les salariés à mieux aborder les difficultés inévitables de leurs postes.

Chip & Dan Heath, p. 269

Enfin, le dernier risque est de passer à côté d’une opportunité qui aurait pu nous apporter encore plus de satisfaction que l’option finalement retenue. Voire passer à côté de notre vocation, en poussant l’hypothèse à l’extrême.

A noter que certains facteurs tendent à renforcer le piège du biais de confirmation comme, par exemple :

  • Notre ego (comme les PDG),
  • L’envie pressante de quitter son poste qui pourrait favoriser l’option permettant de partir le plus rapidement,
  • Ou bien encore nos représentations idéalisées de certains métiers. Il y a quelques années, j’ai eu le syndrome de la chambre d’hôtes. Je m’imaginais dans une belle bâtisse, en Dordogne, accueillant chaleureusement mes hôtes. Mais c’était une vision très restrictive de ce métier. Les horaires sont importants, il y a des tâches physiques à opérer et les hôtes ne sont pas tous charmants :).

3/ Alors, comment contourner ce piège ?


La réponse est dans cette image : ENQUÊTER. Recueillir des informations, auprès des bons témoins, confronter/éprouver les hypothèses, réorienter l’enquête si nécessaire, etc.
Vous devez donc revêtir votre plus belle gabardine et ajouter le générique de Derrick à votre playlist ! En revanche, pas besoin d’investir dans une moto :).

Plus sérieusement, les frères Heath nous livrent quelques conseils à ce sujet. Je vous partage les grandes idées clés associées.

A. D’abord, adoptons la bonne posture !

Cette posture comprend deux dimensions.

Premièrement, il s’agit d’accepter la contestation.

Notre tendance normale est de fuir ces conversations sceptiques et non d’y recourir, mais cela témoigne d’un raisonnement à courte vue. Nous voulons éviter le désagrément temporaire d’une contestation.

Chip & Dan Heath1, p.122-123

A ce sujet, les auteurs suggèrent d’apprendre à nous auto-contester ! Envisager que l’option qui nous plaît le moins puisse, en réalité, être la meilleure. Et donc lui donner toutes ses chances, en l’évaluant avec la même intensité que celle que nous préférons.

Petit témoignage : quand je cherchais la façon la plus optimale d’entrer dans les RH après mon mastère spécialisé en DRH, je savais que le recrutement était une option pertinente. En effet, de nombreux professionnels avec lesquels j’avais pu échanger m’avaient conseillé de démarrer par cette fonction. Or, cela ne m’attirait pas vraiment. Cependant, j’ai fait l’effort d’échanger avec une dizaine de recruteurs issus de différents horizons pour bousculer cette vision.
Conclusion : ces échanges m’ont permis de l’identifier comme une piste sérieuse car ils ont levé des croyances que j’avais.

Deuxièmement, cela suppose d’adopter la posture d’un “non sachant“, d’un bon journaliste d’investigation, d’un inspecteur, bref essayer de s’approcher au maximum de la vérité.

B. Récoltons de l’information la plus factuelle possible

Ce levier comprend deux volets.

En recherchant les fréquences de bases

Le premier volet concerne ce que les auteurs appellent les fréquences de base. Il s’agit de regarder comment, statistiquement, les choses évoluent en général dans des situations similaires. Les frères Heath posent l’hypothèse que nous avons tendance à nous appuyer sur notre perspective interne, nos impressions et nos ressentis pour évaluer nos chances de réussite. Les fréquences de base, elles, offrent une perspective externe.
Quelques illustrations dans le domaine professionnel :

Exemples de perspectives internesExemples de fréquences de base à regarder
J’ai le sentiment que cette entreprise offre une super qualité de vie au travail et que j’aurai envie d’y rester.Regarder le % de salarié(e)s qui quittent l’entreprise visée au bout de 3 ans.
Je suis sûr(e) que je pourrai gravir facilement les échelons en interne si j’accepte ce poste.Connaître le % de salarié(e)s qui ont évolué hiérarchiquement, en interne, après avoir occupé un poste similaire, dans les 3 ans.
Je suis convaincu(e) que je ne pourrai pas vivre de mon business en 2 ans. Dénicher le % d’entreprises similaires qui ont réussi ce pari au bout de 2 ans.

Oui, effectivement, obtenir ces informations semblent complexes, et cela demande un travail d’enquête important. Quelques sources possibles que j’ai identifiées (mais loin d’être exhaustives !) : données DARES/INSEE, Études de marché type Xerfi, bilans sociaux des entreprises concernées (si vous êtes déjà salarié(e)), observatoires des métiers, études APEC, les observatoires des CARIF OREF, données CCI, etc.

A mon sens, il est peut-être plus aisé d’obtenir ce type d’informations en entretien d’embauche par exemple ou lors d’échanges avec des personnes issues du terrain.

En posant les bonnes questions

Quelquefois, nous pensons réunir des informations alors qu’en réalité nous quêtons une approbation.

Chip & Dan Heath1, p.129

Porté(e)s par nos biais de confirmation, nous sommes plutôt tenté(e)s de poser des questions orientées pour obtenir des approbations. Si nous voulons récolter des informations factuelles, nous devons poser les bonnes questions. Par bonnes questions, il s’agit de questions ouvertes et neutres (qui ne se finissent pas par “n’est-ce pas” ?).

Le cas échéant, si nous avons le sentiment que la personne avec laquelle nous échangeons peut avoir un intérêt à ne pas nous dire la vérité, posons des questions très directes. Cela peut être le cas en entretien d’embauche, mais aussi dans les cas où nous nous renseignons auprès de salarié(e)s qui travaillent déjà dans l’entreprise que nous aimerions rejoindre.

Pour vous illustrer l’impact d’une question directe et précise, les frères Heath s’appuient sur une étude intitulée “Les questions stupides, ça existe”4. Les participants à l’étude ont dû simuler la vente d’un Ipod, ayant de nombreux atouts, mais surtout un problème technique. Les chercheurs ont regardé quelles seraient les questions posées par les acheteurs qui inciteraient les vendeurs à révéler le problème.
Verdict :

  • “Que pouvez-vous me dire cet Ipod ?” => Seulement 8% des vendeurs ont révélé le problème
  • “Il n’a pas le moindre problème, n’est-ce pas ?”=> 61%
  • “Quels sont les problèmes ?” => 89% ! CQFD.

C. Récoltons de l’information auprès de sachants

Pour nous aider dans nos choix professionnels, il est utile, si ce n’est fondamental, d’échanger avec des sachants (pas Jean-Michel le voisin qui a un avis sur tout et sur rien !). A titre d’exemples, non exhaustifs :

Situations possiblesProfils des personnes avec lesquelles échanger est pertinent
Je souhaite me reconvertirProfessionnel(le)s du métier visé (dans différents secteurs)
Reconverti(e)s quel que soit le métier
Reconverti(e)s qui ont fait machine arrière
Professionnel(le)s qui n’exercent plus ce métier
Je souhaite me lancer dans l’entrepreneuriatEntrepreneur(e)s similaires
Entrepreneur(e)s quel que soit le business
Entrepreneur(e)s de retour dans le salariat
Des personnes appartenant à votre cible
Je souhaite rejoindre une nouvelle entrepriseSalari(é)s actuel(le)s (avec le risque qu’ils ne disent pas tout)
Salarié(e)s parti(e)s (pour compenser)
Je souhaite évoluer vers un poste donné (sans que cela soit une reconversion)Professionnel(le)s du poste visé (dans différents secteurs)
Professionnel(le)s qui ont occupé ce poste
Je souhaite évoluer au même poste mais dans un autre secteurDes expert(e)s du secteur quel que soit le poste
Des pairs dans le secteur visé
Des professionnel(le)s venant d’un autre secteur qui ont réussi à rejoindre le secteur visé

Il est évident que, malgré nos questions ouvertes et neutres, ces personnes vont nous fournir des informations qui resteront des avis, des réalités propres. Aussi, si nous voulons limiter ce risque, il faut multiplier les échanges. Cela nous permettra de faire le tri entre les dénominateurs communs (informations plutôt factuelles) et les expériences propres.

D. Éprouvons, si possible, les options

Pourquoi deviner quand on peut connaître ?

Chip & Dan Heath1, p. 193

Les auteurs appellent cela oucher (un verbe utilisé dans certaines régions du sud des US et qui signifie “tester”). Pour eux, oucher, c’est lutter contre notre grande confiance en notre capacité à prédire l’avenir. Comme ils le rappellent, “n’est pas Madame Irma qui veut” (p. 178)1!

En matière de carrière, oucher n’est pas si évident, je vous le concède. Surtout dans le cas où nous étudions l’option de prendre un poste donné. Il est difficile de dire oui, puis non (même si la période d’essai sert à cela en théorie). En tout cas, nous nous accordons peu, dans les faits, cette possibilité.
Néanmoins, je suis assez convaincue qu’il existe des moyens d’oucher au sein de son entité. Par exemple, prendre en charge/contribuer à un projet assez nouveau sur un sujet pour lequel nous avons une appétence. Ou alors, accepter une mission temporaire dans une autre direction. Vous voyez l’idée !

Oucher est peut-être plus simple pour des projets professionnels comme la reconversion ou l’entrepreneuriat (en tout cas, certains projets).
Par exemple, essayer de faire un stage dans le métier envisagé. Une des personnes que j’accompagne et qui avait comme option “Fleuriste”, est allée faire un stage de 3 jours, sur ses jours de congés, au sein d’une boutique. Cela a permis de nourrir sa décision.
Si vous êtes salarié(e), une possibilité est de dégager du temps, pour une durée finie (Ex : congé sans solde, temps partiel, utilisation du compte épargne temps, mise à disposition, etc.), sans démissionner, afin de lancer votre activité entrepreneuriale. Cela peut permettre de tester réellement votre capacité à être entrepreneur(e) et la viabilité du projet que vous portez.

E. Surtout, ne pas oublier la synthèse !

Pour vous aider dans l’évaluation des options, une fois la récolte d’informations finalisée, je vous invite à faire une synthèse. Pour ce faire, la matrice SWOT personnelle est un outil pertinent.

Sources

1 Heath C. & D., Comment faire les bons choix, Éditions Flammarion-Champs, 2017

2 Hart W., Albarracín D., Eagly A.H., Brechan I., Lindberg M. J., and Merrill L., « Feeling Validated Versus Being Correct : a meta-analysis of Selected Exposure to Information », Psychological Bulletin, 2009 (135), p. 555-558

3 Hayward M.L.A. & Hambrick D.C., “Explaining the Premiums Paid for Large Acquisitions : Evidence of CEO Hubris”, Administrative Science Quarterly, 1997, n°42, p.103-127

4 Minson J.A., Ruedy N.E. & Schweitzer M.E., “There is Such a Thing as a Stupid Question : Question Disclosure in Strategic Communication”, document de travail, Wharton School of Business, University of Pennsylvania, 2012

Last Updated on 8 February 2023 by Daphnée DI PIRRO