L’impact de notre “image métier” sur nos choix professionnels

Pour ce nouvel article, j’ai choisi de vous résumer une publication1 que j’ai lue récemment. C’est une approche de recherche à un stade expérimental, mais les données et les conclusions donnent à réfléchir.

Les chercheurs abordent la représentation que nous avons des métiers sous l’angle de “l’image métier”.

Leur propos part d’un parallèle avec le marketing : l’image mentale que les consommateurs se font d’un produit influence leurs comportements (achat ou non). Aussi, l’image que nous nous faisons des métiers influence nos comportements, à savoir nos choix professionnels et de formation initiale.

Ces derniers s’opèrent par comparaison entre 2 images : l’image de soi et l’image métier. Donc une comparaison de deux représentations.

Nous devinons alors, assez aisément, tous les biais qui habitent nos choix. Ainsi, comment les réduire ? Comment limiter le risque de dissonance entre notre perception du métier et la réalité vécue ?

En ajustant au mieux les deux images à comparer. Pour l’image métier, il y a, à mon sens, une étape fondamentale : l’enquête métiers. Se renseigner pour valider l’image que nous avons, et tendre ainsi vers une représentation “la plus juste possible”.

1/ Quelques définitions préalables


A. D’abord, comprenons ce qu’est une image mentale !

(C’est) l’ensemble des perceptions sensorielles et des pensées associées par un individu à une entité.

Enis (1967)2, p.51

D’une manière générale, l’image mentale d’une entité (ex : objet, idée, ville, personne, etc.) se construit selon (Molinier, 1996)3 :

  • Notre propre expérience vécue par rapport à cette entité,
  • Les représentations sociales du groupe auquel nous appartenons.

Très schématiquement, elle est produite à partir de nos perceptions (stimuli) et du traitement que nous en faisons. Ce processus s’appelle “l’imagerie”. Exemple :

Nota : l’expérience sensorielle – Selon Gavard-Perret, Helme-Guizon (2003)4

Si nous sommes exposés directement à l’entité, alors nous produisons une image mentale de mémoire. Dans le cas contraire, nous produisons une image mentale d’imagination.

B. Comment définir une image métier ?

L’image métier est une représentation globale du métier dans l’esprit des individus. Elle correspond à l’ensemble des représentations mentales formées suite à l’exposition d’un individu à différents stimuli internes et externes.

Brillet & Gavoille (2016)1, p. 58

2/ Image de soi et image métier à l’origine de nos choix professionnels


Un choix professionnel ou d’orientation s’opère par comparaison entre 2 images : l’image de soi et l’image métier.

A. L’ image de soi

L’image de soi, c’est la description de soi-même que chacun se fait selon son propre point de vue. C’est la façon dont la personne se perçoit, se réfère à un ensemble de caractéristiques (goûts, intérêts, qualités, défauts, etc.), de traits personnels (incluant les caractéristiques corporelles), de rôles et de valeurs, etc., qu’elle s’attribue, et qu’elle se reconnaît en dépit des changements, même si ces croyances peuvent provenir d’autrui-miroir.

Cannard (2019)5, chapitre 7, p. 209

L’image de soi est un concept complexe, et je ne suis pas, malheureusement, en capacité de vous le présenter en détail. De plus ce n’est pas le propos de l’article 🙂

Néanmoins, je trouve intéressant de m’attarder sur une de ses dimensions : le sentiment de compétence.

Il s’agit des croyances que nous avons vis-à-vis de nos capacités à réaliser une activité, à progresser dans un domaine ou nous organiser pour gérer certaines situations (Bandura, 1986)6.
Selon le métier envisagé, le sentiment de compétence est plus ou moins fort. Par exemple, si j’envisage un métier que je n’ai jamais exercé, je vais avoir un sentiment de compétence plutôt faible. Ou alors avoir un sentiment de compétence fort sur certains aspects du métier, et faible sur d’autres.
Dans tous les cas, mon sentiment de compétence influe sur les buts que je vais me fixer, et donc sur ma motivation. Plus le sentiment est élevé, plus je me fixerai un but ambitieux, et plus je persévérai dans l’atteinte de ce but.

B. Les résultats possibles de la comparaison

Un choix professionnel* s’opère par comparaison entre les représentations du métier (image métier) et celle que nous avons de nous-mêmes (image de soi et notamment notre sentiment de compétence). Cette comparaison engendre un processus d’analyse dont trois résultat sont possibles (Huteau, 1982)7.

Concordance satisfaisante

Dans ce cas, je vais choisir le métier en question.

Concordance modérée

Je peux soit abandonner la piste, soit poursuivre ma démarche pour étayer mes représentations (de moi, du métier).

Concordance insatisfaisante

Je vais renoncer à ce métier et envisager d’autres pistes.

*Cela marche aussi dans le cas d’un choix de formation initiale ou continue.

3/ Quelles sont les dimensions de l’image métier ?


Ou comment caractériser l’ensemble des représentations que nous associons à un métier ?

Dans leur article, Brillet & Gavoille restituent les résultats de leur recherche empirique conduite auprès de 81 individus en activité professionnelle (soit 64 métiers différents). Les données ont été recueillies par entretiens semi-directifs.
Je vous restitue leurs conclusions sur ce sujet, à partir de cette recherche : aussi, ces 6 dimensions ne sauraient être totalement exhaustives, comme le précisent les chercheurs.

Les chercheurs notent qu’il y a deux grandes catégories de dimensions qui apparaissent : la catégorie “ma perception de ce que le métier peut me coûter” et la catégorie “ma perception de ce que le métier peut me rapporter”.

Accomplissement

Il s’agit de notre perception du métier selon son contenu et son utilité à la société.

Rétribution

Il s’agit de notre perception en matière de rémunération, mise en regard de la contribution nécessaire.

Responsabilité

Nous associons le métier à un certain degré de responsabilité, à un certain niveau hiérarchique et à une contribution plus ou moins directe à la prise de décision.

Risques

Il s’agit de notre perception des risques associés à l’exercice du métier, notamment en fonction du degré de responsabilité ou des conditions de travail (ex : risques physiques).

Équilibre de vie

Selon nos représentations, le métier nous permet plus ou moins de préserver l’équilibre de vie. Dans certains cas, nous percevons que le métier demandera certains sacrifices (déplacements, gros horaires, etc.).

Relationnel

Dans cette dimension, nous associons le métier aux liens sociaux qu’il peut ou non nous procurer (équipe, collaboration individuelle, relations avec le client, avec les partenaires, etc.).

4/ D’où viennent ces représentations ?


Ou comment construisons-nous les dimensions évoquées précédemment ?

Les dimensions de l’image métier sont issues de ce que les auteurs appellent des antécédents. En effet, Brillet & Gavoille considèrent ces derniers comme les stimuli à l’origine de la construction des images métier que nous avons.

Les antécédents liés à la formation

Ils sont de différentes natures. Premièrement, il y a les caractéristiques de la formation qui mène au métier (durée, formation élitiste, etc.). Deuxièmement, il y a, au cours de notre cursus initial, l’influence du corps professoral et des camarades.
Par exemple, nous pouvons avoir une perception positive d’un métier car l’un de nos intervenants en cours exerçait ce métier et qu’il était particulièrement intéressant. Ou parce qu’un enseignant nous a dit un jour que telle discipline pourrait tout à fait nous correspondre.

Les antécédents liés à l’influence sociale

Notre environnement social (familles, amis, réseaux sociaux, etc.) a une influence directe sur la construction de nos représentations des métiers.
Par exemple, des parents qui ont connu des parcours professionnels difficiles peuvent idéaliser le fonctionnariat (pour la sécurité de l’emploi notamment), et de fait, inculquer cette représentation-là.

Les antécédents liés à l’environnement du métier

Il s’agit de l’environnement dans lequel le métier est exercé, comme la localisation géographique, comme les types de locaux (ex : usine en milieu rural, tour à la Défense, etc.) ou le secteur d’activité (ex : métallurgie).
Par exemple, exercer le métier de guide touristique, c’est avoir la chance de travailler dans un cadre beau et agréable.

Les antécédents liés au contenu du métier

Il s’agit de la nature de l’activité, des conditions d’exercice du métier (rémunération, horaires, etc.), sur ses avantages et ses inconvénients, sur la reconnaissance par autrui et par la société, etc.
Par exemple, travailler dans la restauration, c’est avoir des horaires difficiles, une rémunération inadaptée, et beaucoup de fatigue physique.

Nota : à ce stade de leur étude, les chercheurs ne peuvent pas dire si certains antécédents contribuent plus que d’autres à la formation des représentations que nous avons.

5/ Que retenir de tout cela ?


Nous devons souvent faire un choix professionnel qui inclue un ou plusieurs nouveaux paramètres auxquels nous n’avons jamais été confronté(s) : un nouveau métier, un nouveau secteur, une nouvelle entreprise, une nouvelle équipe, etc. Face à ces nouveaux paramètres, il y a une inévitable part de risque. En effet, nous pouvons nous retrouver dans une situation de dissonance entre la perception que nous avions du nouveau poste et la réalité vécue.

La bonne nouvelle, c’est qu’elle peut être réduite ! Comment ? En ajustant au mieux les deux images à comparer : l’image de soi et l’image métier.

Par une meilleure connaissance de soi, et donc une image de soi plus juste. Peut-être l’objet d’un futur article !

Par une perception du métier (et de l’environnement futur) la plus “juste” possible. Comme nous l’avons vu, nos représentations sur des métiers se construisent à partir d’antécédents, dont certains exercent une influence toute particulière, comme celle de notre environnement social. Il est alors pertinent de s’interroger sur la valeur effective de ces antécédents. Sont-ils représentatifs de la réalité ? Sont-ils complets ou partiels ? En effet, il nous arrive fréquemment de construire notre perception sur un nombre limité d’informations. De ce fait, autant que ces dernières se rapprochent le plus possible de la vérité.

Ainsi, il est fondamental (et je pèse mes mots, l’heure est solennelle) d’échanger avec des professionnels du métier/du secteur/de l’entreprise, etc. visés. Échanger sur quoi ? Par exemple, sur les 6 dimensions de l’image métier évoquées précédemment.
Bien évidemment, ils vous transmettront leurs perceptions et donc leurs images du métier. Cependant, multiplier les échanges permettra de dégager des déterminants communs. Plusieurs, mais combien exactement ? Par expérience, a minima 5. Idéalement, plus jusqu’à ce que nous ayons le sentiment “d’entendre toujours la même chose”. Sur l’entreprise, 2 ou 3 échanges “off” peuvent être suffisants.

Sources

1 BRILLET F. & GAVOILLE F., “L’image métier : exploration d’une notion au cœur du choix professionnel”, Management & Avenir, 2016, n°84, p. 53 à 72

2 ENIS B., “An analytical approach to the concept of image”, California Management Review, 1967, 9(4), p. 51-58.

3 MOLINIER P., Images et représentations sociales : de la théorie des représentations à l’étude des images sociales, Presses Universitaires de Grenoble, 1996

4 GAVARD-PERRET M.-L., HELME GUIZON A., « L’imagerie mentale : un concept à (re)découvrir pour ses apports en marketing », Recherche et Applications en Marketing, 2003, vol. 18, n°4, p. 59-79.

5 CANNARD C., Le développement de l’adolescent, De Boeck Supérieur, Collection Ouvertures Psy-LMD, 2019

6 BANDURA A., Social foundations of thought and action: A social cognitive theory, Englewood Cliffs, NJ: Prentice-Hall, 1986

7 HUTEAU M., « Les mécanismes psychologiques de l’évolution des attitudes et des préférences vis-à-vis des activités professionnelles », L’orientation scolaire et professionnelle, 1982, n°11, p. 107-125.

Last Updated on 8 February 2023 by Daphnée DI PIRRO